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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/595

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Je me contenterai donc d’offrir aux lecteurs les paffages de ces maîtres.

L’invention du peintre ne confifte pas dans la faculté d’imaginer lejujet, mais dans celle de ■ difpofer dans fon efprit le lu jet de la manière qui convient le mieux à fon art, quoiqu’il l’a t emprunté des poètes , des hiftoriens , ou’ d’une fimple tradition ; ce qui lui donne autant Se peut-être plus de peine, que fi lui-même avoit inventé le fujet : car il eft obligé de fuivre les idées qu’il a reçues, Se, s’il eft permis de s’exprimer ainfî , de les traduire dans un autre art. C’eft dans cette traduction que confifte l’invention du peintre : il doit modeler ces idées dans ion imagination. L’idée qu’il a reçue eft-elle grande & pathétique pour l’entendement ; il lui refte à confidérer de quelle manière il pourra la faire correfpondre à ce qui eft grand Se pathétique pour le fens de la vue ; ce qui exige un travail particulier. C’eft ici que commence ce que , dans le langage du peintre , on appelle invention , qui renferme non-feulement la compofuion , ou l’art de mettre le tout enfemble , mais aufïï celui de bien ménager le fond , l’effet du clair-obfcur, & l’attitude de toutes les figures , la place de tous les objets qui fe trouvent dans le tableau Se qui forment une partie de ce tout. ( Note de M. Reynolds ,fur le vers 75 de Dufrefnoy : De arte Graphicâ. )

C’eft peu que l’artifte conçoive une idée heureufe , & rempliffe la toile d’un grand nombre -de figures ; fi elles ne concourent pas toutes au développement du fujet principal , & fi cet enfemble de l’ouvrage n’exprime Se ne rend pas parfaitement au fpeétateur l’idée du fujet, de manière à difpofer Se à préparer fon ame à fe laifTer émouvoir par l’expreflion & les attitudes des principales figures, c’eft en vain qu’on employera des expreÏÏions violentes Se forcées , ainfi que le font ceux qui veulent paroître doués d’une imagination brillante. (J/encs, lettre à Don Antonio Pon. ) L’invention eft la partie qui donne de la nobleffe & de la valeur à l’art , Se qui fait connoître la force du génie du maître. Il eft donc néceflaire de connoître ce qu’on entend par une invention parfaite. Elle ne confifte pas feulement en un beau concept & en une idée fage Se bien digérée ; mais dans cette unité, dans cette fuite d’idées qui remplit & occupe d’abord l’efprit de l’artifte, Se enfuite celui du fpectateur ; unité qu’il doit conferver depuis la première difpofition de l’on ouvrage jufqu’au dernier coup de pinceau , s’il veut former un feul tout.

Plufieurs artiftes que le commun des amateurs Se les peintres médiocres ont legardés comme doués de la partie de l’invention , ont abfolurnent ignoré ces détails heureux que poffédoit I M V

le grand Raphaël ; car on voit qu’ils ont confondu à chaque inftant l’invention avec la compoiition. L’invention eft la vraie partie poétique d’un tableau, déjà conçu dans Feiprit du peintre qui fe le repréfenre comme s’il avoit vu effectivement , ou s’il avoit encore actuellement devant les yeux le fujet que fon imagination ou fa verve fe propofe de rendre. La compofuion confiite , au contraire , dans l’agencement des objets que l’imagination a conçus. L’erreur qui s’eft glifiee à ce fujet dans les écoles & parmi la commun des amateurs , a donné naiflance à la fauffe idée qu’on ne doit inventer & compofer des tableaux que pour plaire aux yeux par la diverfité des objets , par les oppolitions & par les contraftes variés, en négligeant la partie la plus effentielle Se la plu3 noble , lavoir l’expreflion qui appartient à l’m-VENTION.

S’il eft inconteftable que la partie la plus noble de la peinture n’eft pas celle qui flatta feulement la vue, mais celle qui fatisfait l’efprit Se qui obtient le fuffrage des perfo’nnes qui exercent leurs facultés intellectuelles , Raphaël doit être regardé comme le plus grand de tous les peintres dont les ouvrages l’ont venus jufqu’à nous. L’invention Se la difpofition de fes tableaux nous font appercevoir au premier coup-d’œil ce qu’il a voulu préfenrer à l’efprit de ceux qui dévoient les voir. Voilà pourquoi fes ouvrages tranquilles ou tumultueux, terribles ou agréables, gais ou mélancoliques, n’ont rien d’incohérent avec l’idée de leur fujet ; c’eft en quoi confifte la véritable magie de l’art , par laquelle il émeut notre ame Se prend fur elle , ainlî que la poéfie Se l’éloquence , un fi grand empire. 13’ailleurs on voit diftindement dans toutes fes figures un demi-chemin d’action ; c’eft-à-dire qu’on apperçoit ce qu’elles faifoient avant leur mouvement actuel , Se qu’on prévoit , pour ainfi dire , exactement ce qu’elles doivent faire enfuite : elles ne préléntent donc jamais un mouvement achevé, ce qui leur donne un tel degré de vie qu’elles femblent fe mouvoir quand on les regarde avec attention : fi l’on examine dans le tableau de lo Spafimo de Sicilia , qui fe trouvé dans le Palais-Royal da Madrid , toutes les parties dont nous venons de parler , on reftera convaincu que fi Raphaël n’avoit pas toujours été fi grand dans fes productions , on pourroit dire que celle-ci eft unique par fa beauté admirable.

Le fujet eft pris de l’Ecriture-Sainte : Jéfus-Chrift porte la croix au Calvaire , les faintes femmes fondent en larmes, Se il leur dit, d’un ton prophétique , en leur prédifant la prochaine ruine de Jérufalem , de ne pas pleurer fur lui , mais fur leurs propres fils. Raphaël , pour faire mieux comprendre cette idée , fait appercevoir 1 dans le lointain le calvaire , vers lequel on moatç