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par un chemin fmueux , qui prend à la droite de la ville. Il a repréfenté le Sauveur au moment où , pour la première fois , il tombe à ce détour verî lequel un officier de juffice le rire par la corde dont il le tient fié. Comme Raphaël avoit à placer dans ce tableau la mère de celui qui écoit conduit au fupplice & injuftement maltraité , il lui a donné le caractère d’une mère infortunée & refpeftable, qui fe voit réduite, pour obtenir à fon fils quelque foulagement , d’implorer la pitié d’une infâme populace. Il a peint la Vierge à genoux, ne tournant pas les yeux vers fon fils , à qui el !e ne peut donner aucun fecours ; mais dans l’attitude d’une vraie fuppliante , faiiant entendre au peuple que le Chrift, tombé par terre, a befoin de la compalTion de celui qui le traite avec tant d’inhumanité. Raphaël a relevé cette humble exprefïion de la Vierge , en lui donnant un air de nobleffe & de majefté , & a fait fentir la fupériorité de la mère de Dieu en repréfentant autour d’elle Madeleine, les autres Maries & faint Jean , qui l’accompagnent & s’empreffent de lui donner du fecours en la foutenant fous les bras.

Ces perfor.nages paroiffent tous plongés dans les plus triftes réflexions fur les foufrrances du Sauveur , & principalement la M2gdeleine qui femble lui parler. Saint Jean donne du fecours à la Vierge : Jéfus-Chrifi eft tombé , mais il ne fait paroître aucune foibleffe ni aucun abattement , & il a , au contraire , l’air d’un juge , tel que l’Ecriture le repréfenté. Son vifage , outre qu’il eft dans ce tableau d’une beauté & d’une excellence, pour ainfi dire, inexprimables , femble animé d’un efprit prophétique qui répond parfaitement au fujet ; car la perfonne repréfentée eft toujours Pieu , quoique fouffrant, & répond en même-temps au talent de Raphaël , qui jamais n’a donné de cara&ère bas à rien de ce qui étoit fufceptible de nobleffe. L’attitude de toute la figure eft belle , noble & animée. Le bras gauche , dont la main eft très-belje , porte fur une pierre , & eft tout-àfait étendu. Cependant les plis de la large manche font appercevoir un demi-chemin d’action -, car ils femblent fe tenir encore en l’air & n’avoir pas fini leur chute , fuivant la tendance que doit leur donner le poids fpécifique de l’étoffe. De la main droite , le Chrift tâche de faifir la croix fous laquelle il fuccombe, & femble vouloir , en cherchant à la foulever lui-même , empêcher qu’on ne la lui ôte : idée fublime , digne du grand génie de Raphaël qui, par ce mouvement iimple , & qui femblera peut-être indifférent à bien des yeux, nous rappelle que le Sauveur du monde fouffroit, parce que lui-même vouloit fbuffrir.

La variété de caractère qu’il a fu donner aux officiers de juftice n’eft pas moins digne d’ad-I N V

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miratîon , & fait remarquer que , même parmi les méchans , il eft différons degrés de perverfité. La figure que l’on voit par le dos, et qui tire 1g Chrift par la corde , ne paroît remplis que de la brutale impatience d’arriver avec la viflime au lieu du fupplice. L’autre perfonnage qui femble, en quelque forte , foutenir la croix, paroît ému d’une forte de compaflîon qui le porte à lbulager le Sauveur. Près de lui eft un foldat, qui, pouffant la croix fur l’épaule du Chrift, exprime la plus grande iniquité, puifqu’il cherche à accabler encore davantage celui qui fuccombe déjà fous le fardeau, (i) Tout ce qui vient d’être dit fe rapporte à la partie de Yinvention , & la manière dont Raphaël a difpofé ces idées après les avoir inventées fe^ rapporte à la compofition. (Mencs, lettre à Don Antonio Pon-[. )

L’invention dans la peinture ne fe borne pas à trouver le fujet même qui fouvent oft fuggéré par un poète ou par un hiftorien. Pour que le fujet foit heureux , il faut qu’il puiffe intéreffer tout le monde, & que , pour cet effet, il repréfente quelqu’exemple d’une vertu magnanime dans 1 action, ou d’une conltance héroïque dans la fouffrance. Il doit y avoir quelque chofe dans l’action & dans fon objet qui intéreffe généralement tous les hommes , et qui frappe vivement l’ame par quelque rapport fympathique. Il eft bien vrai que, rigoureufement parlant, il ne peut y avoir de fujet qui foit d’un intérêt abfolument général. On en trouveroit même à peine qui puffent faire une vive imprefïïon fur certains efprits : mais il eft des évènemens & des caractères fi univerfellement connus dans tous les pays où l’art de la peinture eft cultivé, qu’on peut les regarder comme propres à notre objet. Tels font tous les grands évènemens de l’hiftoire grecque & romaine Se même de la fable , que les études ordinaires de la jeuneffe rendent familières à toutes les nations de l’Europe qui toutes s’y intéreffent également. Et ces -fujets ont l’avantage de n’être ni trop communs, ni , en quelque forte , dégradés par un rapprochement marqué avec les mœurs habituelles d’aucun peuple. Tels font auffi les fujets que fournit l’Ecriture -Sainte , qui, à l’avantage d’être généralement connus , joignent celui d’infpirer ie refpect. p^r leurs rapports avec la religion que profeffent les Européens. (i) Comme on trouve à-peu-près les mêmes idées dans les tableaux de pluiieurs maîtres inférieurs qui ont traité ce fujet, on prétendra pei :t être que l’invention de ce lableau n’eft pas fi merveilleuTe que Mengs fe 1 efl petjïïàdé- î.iais on pe^ : fertir qu’il n’étoit pas difficile à-ces maîtres de répé :’ v les ic’.ées de Raphaël, & que la gloire de ces idées eft ■-. ! premier qui les a conçues. Son tableau ttoit connu pa. . citampe d’Auguftin Vénitien ; & quoique certe efiampe n’en exprime pas toute la beauté , elle en indique au moins ïïntewion. ( Note du Rédaileur. )