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ne peut s’appliquer qu’à ceux qui, dans nos mœurs, tiennent de leurs pères des degrés de noblesse prouvés par des parchemins ?

Quand on a dit qu’Alexandre ne permettoit qu’aux nobles d’exercer les beaux-arts, on a entendu sans doute que, cette loi n’excluoit que les hommes en servitude ou ceux que la misère met dans la dépendance. L’histoire des peintres de ce temps-là prouve cette conséquence raisonnable.

Les Grecs, imbus de préjugés si favorables au progrès des productions de l’esprit humain, les ont élevées a un point si éminent, que depuis elles n’ont pu que déchoir. Nulle part les arts n’ont été si libres & si honorés que chez eux. Ils les ont portés dans l’Italie ; mais lorsqu’ils y parurent, les Romains, tous guerriers, ne permirent qu’aux esclaves de s’occuper des travaux du génie qu’ils regardoient comme futiles. De là vient que, dans ces commencemens, les Romains n’eurent point d’artistes distingués. Les seuls Grecs enrichirent Rome de chefs-d’œuvre. Mais lorsque rassasiés de conquêtes, ces maîtres du monde sentirent le prix des arts, les hommes libres s’y adonnèrent, disons plus, la liberté elle-même fut le prix des succès pour les esclaves à qui on procuroit les facilites de s’instruire.

La liberté est nécessaire aux talens, parce qu’elle élève l’ame & qu’elle laisse marcher l’esprit à son gré. Ce précieux apanage de notre imagination est sur-tout avantageux dans le choix des sujets & dans la manière de les présenter. Prescrire impérieusement ces premiers travaux, c’est bien peu connoître leur influence sur le succès, ou bien c’est avoir formé l’injuste & barbare projet d’avilir les beaux-arts par un joug destructeur.

Il est cependant des hommes d’une ame élevée, semblables à ce poëte qui préféroit les chaînes à la honte de célébrer un tyran : l’histoire des grands artistes fournit nombre de traits de cette noble fierté, & il est commun de les voir vivre obscurément, plutôt que de subordonner leurs talens aux caprices de protecteurs ineptes ou tyranniques.

On objecte que le maintien des mœurs exige une sévère & exacte inspection. Le respect des mœurs publiques doit sans doute donner des entraves aux cœurs corrompus toutes les fois qu’ils se mettent en évidence ; mais c’est aux éphores, c’est à l’aréopage à prévenir & à punir les éclats licentieux : & sous prétexte de prévenir ces excès, il ne faut pas prétendre soumettre les artistes, dès leur entrée dans le licée, à la tyrannie d’un chef oppresseur, au lieu de leur donner un Mécène ou encore mieux un ami.

Artistes, voulez-vous donner à vos talens toute l’extension dont votre esprit est capable,


ne vous soumettez pas en esclaves, & tenez-vous libres dans l’exercice des arts, comme vous l’êtes dans l’air qui vous environne. Considérez le Poussin, Holbein, Michel-Ange, & ne faites de tableaux & de statues qu’avec un amour aussi ardent que le leur pour la liberté, & une égale horreur de tout asservissement. C’est ainsi que vos études produiront de beaux fruits ; mais soyez sûrs qu’ils déchéeront dès l’instant que, perdant le goût de cette précieuse liberté, vous mêlerez à vos propres pensées les caprices des modes ou le goût des personnes à qui vous voudrez plaire pour obtenir de petits honneurs ou satisfaire un vil intérêt.

Le mot liberté a une autre acception relative à la pratique des arts : il signifie aisance, facilité dans l’exécution ; &, dans ce sens, on dit, ce tableau, cette statue, sont faits avec une grande liberté de main ou de pinceau. On dit aussi liberté de crayon, peindre, dessiner librement, un pinceau libre, &c.

La libertè naît ordinairement ou d’une grande pratique, ou d’une adresse naturelle, ou d’une heureuse vivacité d’esprit.

Quoique cette liberté d’exécution ne se rencontre pas toujours avec les grands talens, ainsi que le prouvent les chefs-d’œuvre du Dominiquin & d’autres hommes habiles ; il faut avouer qu’elle répand un attrait enchanteur sur les ouvrages de l’art, sur-tout pour les personnes qui l’exercent, & qui seules en connoissenc bien le méchanisme.

Mais ce genre de liberté est un vice quand il n’est pas soutenu d’un solide savoir. Il est sur-tout funeste au jeune élève à qui la nature l’a donné ; qui en retire des éloges trop séduisans, & qui n’a pas le courage d’y renoncer toutes les fois que la science & la réflexion no dirigent pas les opérations de l’a trop heureuse main. Voyez l’article Instruction. (Article de M. Robin.)

LICENCE ; (subst. fém.) l’art tient à des conventions sans lesquelles il ne pourroit exister. Voyez l’article Conventions. Il se permet des suppositions qui lui prêtent des beautés. On demandoit à Paul Véronèse la cause d’une ombre qui fournissoit une masse à son tableau : C’est, répondit-il, un nuage qui passe : il supposoit hors de son tableau un nuage qui produisoit cette ombre. Mais il est toujours dangereux de se donner des licences ; car enfin elles sont réellement des fautes qu’un grand succès peut seul excuser.

On peut définir la licence, une faute que l’Artiste se permet pour en tirer une beauté. Nous n’entrerons pas dans le détail des licences, puisqu’il en existe autant que de fautes qu’on peut se permettre : mais nous observerons qu’une licence suppose toujours l’orgueil d’un Artiste qui


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