Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/622

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Pour inventer, il faut avoir réuni une masse de matériaux que notre esprit puisse mettre en œuvre. Rien ne se fait de rien. Ce que nous appellons invention, n’est que la faculté de combiner d’une manière nouvelle, les idées que nous avons reçues. Si nous n’acquérons qu’un petit nombre d’idées, nous ne pouvons faire qu’un petit nombre de combinaisons, & nous ne serons par conséquent que de foibles inventeurs. On a vu, dans tous les genres, des hommes en qui l’on avoit d’abord soupçonné du génie, mais à qui l’on a bientôt refusé cette qualité, parce qu’ils ne faisoient toujours que revenir sur leurs premières traces & parcourir un cercle étroit. Ce n’est pas qu’en effet ils n’eussent reçu de la nature le génie, mais c’est qu’ayant négligé de le nourrir, ils l’avoient rendu inactif, en lui refusant les moyens d’ôpérer.

Un esprit vuide ne sera jamais inventeur. Homère avoit toute la science de son temps ; & l’on peut considérer ses poëmes comme l’Encyclopédie d’un peuple nouvellement sorti de la barbarie. Michel-Ange, Raphaël connoissoient tout ce que pouvoient leur avoir appris leurs prédécesseurs, c’est-à-dire, tous les ouvrages des artistes qui avoient travaillé depuis la renaissance des arts, & toutes les antiques alors découvertes.

Plus l’esprit s’enrichira des trésors des anciens & des modernes, plus il acquerra d’étendue, &, à dispositions égales, celui dont les soins auront rassemblé le plus de richesses, sera celui qui montrera le plus d’invention. Je dis à dispositions égales, car tel esprit est trop foible pour employer ses richesses ; il en est accablé : tel autre, manquant de netteté, ne peut ni les mettre en ordre, ni même les connoître.

Quand on recommande d’étudier les ouvrages de ceux qui nous ont précédés, cela ne veut pas dire qu’il faille copier leur manière de colorer, de composer, de dessiner, de penser. Il faut se rendre les émules, & non les esclaves de ceux qu’on se propose pour modèles ; il faut sur-tout joindre constamment l’étude de la nature à celle des grands maîtres.

Mais, sans les maîtres, l’étude de la nature réduiroit l’artiste au même point où se trouva le premier inventeur de l’art, & ses progrès ne surpasseroient pas ceux de ce premier inventeur. Dans un siècle qui a suivi tant de siècles où les arts ont été cultivés, il faut s’éclairer par l’expérience de tous les siècles passés. C’est cette expérience qui nous apprend à voir la nature ; elle se découvre à tous les yeux ; mais il faut que les yeux apprennent à la lire. Elle nous offre le spectacle des plus belles formes ; mais ce sont les maîtres qui nous enseigneront à les discerner.

En considérant les ouvrages des maitres, il faut, dit M. Reynolds, que nous suivons dans cet article, chercher les principes qui les leur ont fait produire. Ils sont écrits sur la toile ; mais ce n’est pas une observation superficielle qui nous les fera lire. L’art est caché ; c’est aux recherches de l’observateur à le découvrir.

Il est certain que l’art s’apprend mieux par l’inspection des ouvrages, qu’en lisant ou en écoutant les principes qui en ont été déduits. Ces principes ne font qu’avertir, c’est au discernement à reconnoître, dans ces ouvrages, ce qui est excellent, ce qui est ordinaire, & ce qui est défectueux. (Article extrait de M. REYNOLDS.

MANIEMENT, (subst. masc.) Maniement du crayon, du pinceau. On dit aussi quelquefois qu’un peintre sait bien manier ses couleurs, que les couleurs sont bien maniées dans un tableau ; expression figurée, puisqu’on ne manie point en effet les couleurs, mais le pinceau qui en est chargé. On dit encore qu’un peintre a bien manié son sujet, pour faire entendre qu’il s’en est rendu maître, comme d’une substance molle ou flexible qu’on manie à son gré.

La peinture proprement dite, & indépendamment des parties qui appartiennent à l’art, étant un métier qui consiste à employer les couleurs à l’aide du pinceau, un bon maniement de pinceau est essentiel à ce métier. Un peintre qui fait des ouvrages estimables à d’autres égards, mais qui n’a qu’un mauvais maniement de pinceau, est un artiste habile, mais qui ne possède pas le métier de son art.

Il est douteux que les Grecs eussent, dans le temps d’Apelles, ce que nous appellons un beau maniement de pinceau, lorsque ce peintre célèbre disputoit avec Protogènes à qui traceroit les lignes les plus fines, lorsque ce dernier employoit plusieurs années à peindre un tableau d’une seule figure : mais cela ne signifie pas qu’ils ne fussent de très-grands artistes, & qu’ils ne possédassent des qualités bien supérieures à cette adresse de la main. Les modernes ne remporteroient donc qu’une bien foible victoire sur les anciens, quand ils parviendroient même à démontrer que ceux-ci nes égaloient pas dans une partie toute manuelle. On sait même que depuis la renaissance des arts, les grands maîtres des écoles Romaine & Florentine n’ont pas excellé dans cette partie, & qu’elle n’a été portée à sa plus haute perfection que par des écoles inférieures. On peut encore observer que l’art a dégénéré, quand cette partie du métier est devenue plus séduisante. Mais cela ne signifie pas qu’il soit permis de la négliger, sur-tout dans les ouvrages qui doivent être exposés près de l’œil du spectateur. A présent que le métier est devenu familier, on ne pardonne pas à l’artiste de le posséder foiblement. Il est nécessaire au plaisir des yeux,


Beaux-Arts. Tome I.