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M A R manière dont ce prodigieux navire fut traîné du rivage à la mer, on reconnoît que ce n’étoit en effet qu’une barque à-peu-près telle que celles de nos pêcheurs. Sans doute, il n’eût pu mettre dans son récit tant de vérité, si, de son temps, la navigation eût été bien plus parfaite que dans celui des Argonautes.

« Argos, dit-il, à l’aide de leviers & de cordages, entreprit de mettre en mouvement le navire, en l’élevant du côté de la pouppe. Il appella tous les guerriers, & les engagea par des paroles flatteuses, à partager le travail. Aussi-tôt ils se préparèrent à lui obéir ; ils se dépouillèrent de leurs armes, ceignirent un cable sur leur poitrine, & chacun employa toute la force de son poids. »

Quand le vaisseau fut en mer, Argos & Tiphys levèrent le mât, préparèrent les voiles, & attachèrent le gouvernail du côté de la pouppe, en le serrant avec des courroies.

Apollonius de Rhodes vivoit plus tard que le premier chantre des Argonautes ; aussi, donne-t-il déjà l’idée d’une manœuvre un peu plus industrieuse pour mettre le vaisseau à flot : il suppose que les compagnons de Jason creusèrent un fossé qui alloit jusqu’à la mer par un plan incliné, ce qui devoit faciliter la descente du navire. Par la différence de ces deux écrits, on voit les progrès qui s’étoient faits depuis le temps du premier poëte jusqu’à celui du second : cet intervalle a dû être à-peu-près de trois siècles.

Quand on a vu, dans nos ports, lancer même un de nos moindres bâtimens, on sourit à la peinture de ce prodigieux navire des Argonautes qu’on tiroit à la mer avec des cordes, & l’on conçoit qu’il ne valoit pas même un de nos paquebots. C’est ce que confirme encore la manœuvre d’Argos & de Tiphys qui lèvent le mât, & qui attachent le gouvernail avec des courroies. Il faut savoir que le mât se levoit quand on mettoit en mer, & se baissoit quand on étoit au port ; alors il se logeoit dans une rainure, ou dans une sorte de caisse, qu’Homère appelle istodochos, le receveur du mât. Quant au gouvernail, ce n’étoit qu’un aviron plus large que les rames ; on lui voit encore cette forme sur des vaisseaux de la colonne Trajanne, élevée dans le second siècle de notre ère. A quelques-uns de ces vaisseaux, il est contenu par une courroie, comme il l’étoit au vaisseau des Argonautes ; à d’autres, il n’est retenu que par les mains du pilote, ce qu’on peut regarder comme une inexactitude de l’artiste : dans tous, il est placé à la partie latérale de la pouppe, au lieu d’être à l’arrière du vaisseau, ou plutôt il y avoit deux gouvernails, un à chaque bord.

Il est inutile au sujet que nous traitons de fixer avec précision le temps où vivoit Hésiode. Les uns le font contemporain d’Homère, d’autres


veulent qu’il l’ait précédé ; d’autres le font naître un siècle plus tard ; comme la navigation paroît être restée fort long-temps dans le même état, ces époques nous sont indifférentes ; il suffit qu’Hésiode soit un très-ancien poëte. Ecoutons les conseils qu’il donne à Persès son frère, dans le poëme des œuvres & des jours. Il lui recommande fortement de ne pas s’embarquer pendant l’hiver, mais de tirer alors son navire à terre, & de le bien affermir de tous les côtés avec des pierres assez fortes pour résister à l’impétuosité des vents. « Déposez, ajoute-t-il, en votre logis, tous les ustensi es de la navigation ; pliez & arrangez les voiles, & pendez le gouvernail au-dessus de la fumée. »

On retiroit donc le vaisseau à terre, on l’assuroit avec des pierres qu Homère appelle Hermata (des soutiens, des appuis). On exposoit le gouvernail à la fumée du foyer, pour le tenir séchement. Quand la belle saison permettoit de s’embarquer, on dérangeoit les piertes, & on tiroit le bâtiment à la mer, comme le firent les Argonautes. Cette pratique est restée la même pendant un grand nombre de siècles. Les Athéniens avoient au pyrée des loges dans lesquelles ils retiroient leurs vaisseaux.

Ceux des temps les plus anciens, n’avoient point de ponts. Le faux Orphée nous représente les Argonautes descendant au fond du navire, & prenant les rames.

La navigation devoit être devenue plus familière au temps du siège de Troies. Achille prit douze villes par mer ; Ulysse commanda neuf fois des flottes ; celle des Grecs confédérés étoit de mille vaisseaux ; mais ces vaisseaux étoient construits comme celui des Argonautes ; ils étoient de même sans ponts : ils ne contenoient de même que cinquante hommes. Thucydide observe que quelques-uns en portoient cent vingt.

Le même Historien nous apprend qu’après la guerre de Troie, les Corinthiens imaginèrent les premiers des vaisseaux semblables à-peu-près à ceux qu’on voyoit de son temps : il ne s’explique pas davantage. On peut croire qu’il s’agit de vaisseaux pontés, & même à plusieurs rangs de ponts & de rames. Ils furent propres à contenir un plus grand nombre d’hommes. Jusqu’à cette époque, on s’en étoit tenu assez fidèlement aux vaisseaux à cinquante rames. On peut remarquer que les plus anciens vaisseaux étoient longs. Quand on eut imaginé de faire des vaisseaux ronds, ils furent consacrés au commerce, parce qu’ils portoient plus de marchandises ; les autres, qui marchoient mieux, continuèrent de servir à la guerre.

Les Phocéens sonr les premiers des Grecs qui aient entrepris de longues courses ; &, par la raison que nous venons de dire, ils se servoient de vaisseaux longs & à cinquante rames :