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M A R trop légèrement, à des étrangers, les prix du talent pittoresque.

MARINE . Ce mot signifie aussi la science & la pratique de la navigation ; on dit : « il sert dans la marine ; il connoît bien la marine ; la marine a fait de grands progrès depuis le renouvellement des sciences. » C’est en prenant ce mot dans cette acception, que nous allons, en faveur des artistes, traiter de la marine des anciens. Il n’est pas rare qu’ils choisissent, ou qu’on leur propose des sujets qui les obligent d’en avoir quelque connoissance.

Rien ne seroit plus vain que de rechercher l’origine de la navigation : elle a été inventée par tous les peuples qui habitent les bords de la mer. Des Sauvages voyent flotter des arbres ; ils lie hasardent d’en creuser quelques-uns pour se faire des nacelles, ou d’en rassembler plusieurs pour se faire des radeaux. C’est donc l’une de ces deux sortes d’embarcations que doit représenter le peintre, si le sujet qu’il traite est pris chez un peuple qui en soit encore au plus foible dégré de l’industrie.

Les Grecs ont nommé monoxyles, les canots creusés dans un arbre ; ce mot, dans leur langue, signifie un seul bois. Les Romains les appelloient trabariae, parce qu’ils étoient faits d’une seule poutre, trabes. Pline dit que les Germains avoient de ces canots qui portoient trente hommes ; ce qui supposoit qu’alors la Germanie avoit des arbres d’une grosseur prodigieuse ; Isidore parle de Monoxyles qui portoient dix hommes, ce qui n’excède pas la vraisemblance : j’en ai vu qui en portoient deux, & qui étoient taillés dans des arbres ordinaires.

Chaque peuple s’est fait des canots avec les substances que le pays lui procuroit le plus familièrement. Les Bretons en construisoient avec des branches flexibles, qu’ils couvroient de cuirs : d’autres ont fait le même usage de l’osier ; & d’autres encore de carcasses de poissons cétacés. Les Egyptiens avoient des necelles de papyrus, & même de terre cuite. Juvénal parle de ces dernières :


Parvula fictilibus solitum dare vela phaselis, Et brevibus pictâ remis incumbere testâ.


Il est étonnant qu’on osât se fier à la voile sur des nacelles si fragiles, & qu’en les peignant, on ajoutât le luxe à tant de simplicité.

Le radeau n’est qu’un assemblage de poutres grossières : il se nommoit en grec schedia, & ce mot exprime le peu de temps qu’exige sa construction. Homère représente Ulysse construisant un radeau pour sortir de l’isle où Circé l’avoit retenu. Le Héros, lie ensemble de grosses poutres, les recouvre de planches, y ajoute


un bordage d’osier, & y adapte un mât. Sur cette frêle machine, il va braver le gouffre de Carybde & la voracité de Sylla.

Dans les temps héroïques, quand les Grecs entreprirent l’expédition de la Colchide, quand Agamemnon conduisit devant Troie mille vaisseaux, on avoit déjà surpassé la sauvage industrie dont nous venons de parler ; mais l’art de la marine étoit encore dans l’enfance.

Elle fut d’abord exercée dans la Grèce par les brigands qui habitoient des isles ou des côtes maritimes, & s’embarquoient probablement sur de foibles nacelles, pour piller les côtes & les isles voisines. Du temps de Thucydide, Minos passoit pour le plus ancien souverain qui eût possédé une marine : il nettoya de pirates la mer de Grèce, pour s’assurer à lui-même les revenus qu’ils tiroient de leurs expéditions. Il se rendit maître de toute cette mer, soumit les isles Cyclades, en chassa les Cariens, y envoya le premier des colonies, & en confia le gouvernement à ses fils.

L’expédition des Argonautes, que l’on rapporte à l’an 1292 avant notre ère, est devenue éternellement célèbre, parce qu’elle fut regardée comme une entreprise de long cours, non moins étonnante alors que le furent depuis la navigation de Christophe Colomb, ou le premier voyage autour du monde. Le nom même d’Argos, l’artiste alors prodigieux qui construisit le vaisseau que montérent les Argonautes, a été préservé de l’oubli. Ce bâtiment, ou plutôt cette barque, avoit cinquante rames, & les héros qui la montoient, en étoient eux-mêmes les rameurs.

Le plus ancien poëme qu’ait inspiré cette expédition, porte le nom d’Orphée. Il avoit été appellé par les Argonautes pour exercer au milieu d’eux les fonctions sacerdotales, comme le devin Calchas monta sur les vaissaux des Grecs dans leur expédition de Phrygie. Assurément le Chantre de la Thrace n’est point l’auteur du poëme des Argonautes : mais ce poëme est au moins d’une antiquité respectable. S’il est l’ouvrage d’Onomacrite, qui, suivant Clément d’Alexandrie, composa les poësies attribuées à Orphée ; il remonte à la domination de Pisistrate, & c’est par conséquent le plus ancien poëme grec qui nous reste après ceux d’Homère & d’Hésiode. Ce qui est certain, c’est que les mœurs antiques y sont peintes avec une simplicité que l’on recherche en vain, quand on vit loin du temps où régnoient ces mœurs. On reconnoît qu’Homère étoit voisin du siècle de ses héros, & que Virgile & Fénélon ne l’étoient pas.

Le faux Orphée nous représente les Argonautes frappés d’une admiration semblable à la stupeur, à l’aspect du bâtiment construit par Argos : mais quand il nous décrit ensuite la