Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/667

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m

M O U une gradation à observer, sans laquelle ce qu’on nomme mouvement est sans effet.

Le martyre de S. André par le Dominiquin est un bel exemple de cette gradation toujours mise en pratique par les grands-maîtres. On y voit placé dans les entrecollonemens, le peuple, spectateur assez paisible ; les grouppes repoussés par les gardes ont plus de mouvement ; l’attitude froidement cruelle du juge, l’état violent du Saint supplicié, ensuite tous les efforts, les jouissances mêmes de la barbarie manifestés dans les attitudes des bourreaux, sont autant de degrés par lesquels le grand homme est parvenu à produire le mouvement le plus intéressant. Dans la bataille de Constantin par Raphaël, l’attitude noble, fiere, & grave du héros, le spectacle simple & touchant de ce pere occupé a soulever le corps de son fils, hélas ! déjà mort, l’attitude de Maxence dont le désespoir & la rage sont plus exprimés par les traits du visage & quelques parties de détails que par le mouvement général de la figure de ce malheureux roi, sont autant de repos qui, en convenant aux personnages divers, mettent en valeur les grouppes animés par la fureur & l’acharnement du combat. Notre illustre Poussin a donné un exemple piquant de la gradation dumouvement dans ce paysage si connu où il peint un homme enveloppé d’un énorme serpent. Ce spectacle inspire l’horreur dans divers degrés, aux diverses figures du tableau ; chacune en recoit une portion suivant sa distance du lieu de la scène effrayante, & quoiqu’assez éloignées entr’elles, elles se communiquent l’effroi comme par écho. L’opposition qui existe entre les mouvemens de tous les êtres animés de la scêne, & la sévérité du site unie à la simplicité de ses masses, ajoute encore au puissant intérêt de cet admirable ouvrage, & à l’effet de la gradation dans les mouvemens.

Ce principe, observe dans une figure seule, lui communique le même degré de vie que l’art sait répandre dans les scênes les plus compliquées : il donne le mouvement à la figure la plus tranquille & la plus enveloppée, comme à celle dont tous les muscles, seroient apparens, & dans la plus vive action.

On voit des statues entourées de draperies volantes ; & parce que les mouvement sont sans but & sans repos, ces figures paroissent bien ce qu’el les sont, je veux dire, de marbre. Mais au contraire, la figure assise appellée. Agrippine, celle qu’on nomme la vestale, dont nous avons aux Tuileries une si belle copie par le Gros, sont toutes deux oublier la matière dont elles sont faites, & en les regardant, on est tenté de chercher à pénétrer les idées qui les occupent. La simplicité des vêtemens, la marche aisée & naturelle des plis, leurs détails, toujours proportionnés aux diverses formes qu’ils couvrent & caractérisant avec sentiment la nature de l’étoffe,


sont les moyens d’offtir le mouvement dans une figure en action, & d’en montrer la possibilité dans la figure la plus tranquille.

Dans l’intention de donner du mouvement à ses tableaux, qu’on n’écoute pas surtout les systêmes perfides, dont les termes sont : contrastes, oppositions, chaleur, &c, &c, &c : il n’y a point de méthode unique, point de choix défini pour rendre la nature. Si l’on veut intéresser par lemouvement, la pensée des actions de chaque figure doit amener celle de leurs attitudes. C’est ainsi que les artistes antiques ont également excellé dans tous les mouvemens, depuis celui qu’ils ont donné à la figure du gladiateur, jusqu’à celles de la Cléopâtre, de l’Hermaphrodite, & du Senèque, dont les deux jambes sont rapprochées & dans un bassin ; j’oserois même dire jusqu’à celle du terme égyptien.

Les artistes décèlent ordinairement le genre de leurs talens, par l’espèce de mouvement particulier que chacun d’eux donne à ses figures. C’est par cet endroit qu’ils se peignent & se caractérisent le plus particuliérement dans leurs ouvrages, du côté du dessin. Ainsi le sublime Michel-Ange s’est élevé, pour ainsi dire, au-dessus des génies humains, par la manière fière & terrible avec laquelle il a fait mouvoir ses savantes figures : C’est par cette simplicité naïve, cette précision des mouvemens les plus doux, & en même tems les plus vrais, que l’Albane seul a mérité le nom de peintre des grâces. Enfin, c’est par la justesse des mouvemens que le divin Raphaël a su caractériser toutes les actions de l’homme : par le choix exquis de ses attitudes, il a exprimé avec une étonnante vérité les passions depuis les plus véhémentes jusqu’aux plus tranquilles. La facilité merveilleuse avec laquelle il a su, dans cette partie, soumettre l’art à toutes les nuances de la nature, ne lui sera sans doute jamais rencontrer d’égal.

Si l’on entend par mouvement, l’art de donner à la figure humaine l’attitude nécessaire pour qu’elle ne tombe pas, & que le centre de gravité soit placé de manière que la figure puisse se soutenir aisément ; alors le sens du mot mouvement est autre que celui que nous avons traité dans cet article, & l’on doit en trouver l’explication au mot pondération, qui est l’expression technique. Les régles de la pondération sont immuables & géométriques ; celles du mouvement, au contraire, se puisent dans le bon goût, le génie, & surtout le jugement de l’artiste. Léon-Baptiste Alberti,Léonard de Vinci, ont savamment traité des loix de l’équilibre par rapport aux mouvemens du corps humain ; c’est surtout dans leurs ouvrages qu’on trouvera tout ce qu’il faut apprendre sur cette partie élémentaire du dessin. (Article de M. ROBIN.)