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NAIF, (adj.) ce mot signifie ce qu’on apporte avec soi en naissant, ce qui n’est point acquis, ce qui ne doit rien à l’art : il vient du latin nativus, d’où s’est formé l’Italien natio. Il semble qu’il devroit être synonyme de naturel ; & il est bien vrai que le naif est toujours naturel, mais ce qui est naturel n’est pas toujours naif. La majesté, la fierté, la noblesse peuvent être naturelles ; la grace, la douceur peuvent être naïves. Le naif n’appartient qu’aux qualités qui s’associent avec l’ingénuité, la simplicité, la candeur, peut-être même avec une sorte de foiblesse physique : aussi l’aime-t-on dans les femmes même faites ; & il sembleroit ridicule dans un homme fait. C’est peut-être encore qu’il doit son plus grand charme aux graces ingénues, & la nature refuse ces graces à l’homme, dès le moment où elle lui accorde la force. Ces graces & la naiveté doivent donc être unies à une certaine foiblesse : la naiveté, aimable dans l’enfance & dans la jeunesse, seroit déplacée dans l’âge avancé, parce que la simplicité native a dû être détruire par l’expérience d’une longue vie : elle continue long-temps de plaire dans les femmes, parce que leur vie retirée, simple, exempte d’affaires, les laisse long-temps sans expérience.

Dans les arts, comme dans les lettres, il est plus aisé d’être grand, noble, élevé, fin, délicat, que d’être naïf ; & cependant la naïveté est le comble du talent, lorsqu’il s’agit de traiter les expressions douces qui conviennent à la beauté accompagnée de la jeunesse. Dans les jeunes personnes, la crainte, la tendresse, la grace, la douleur sont d’autant plus touchantes, qu’elles sont plus naives. Des mouvemens faciles sont toujours naturels ; mais pour qu’ils soient naïfs, ils doivent être imprimés par la candeur. Les enfans du Dominiquin sont naïfs ; ses femmes le sont quelquefois Le Sueur a très-bien exprimé la naïvete dans le jeune âge. Dans ses tableaux faits pour le cloître des Chartreux, un jeune novice, les yeux baissés, plaît par une modestie naïve. Il se fait aimer, & fait chérir la mémoire de l’artiste qui l’a peint : on sent que le modèle de cette figure n’a pu se trouver que dans une ame douce.

Il est aisé de relever le prix de la naïveté : le seul conseil qu’on puisse donner aux artistes, pour les conduire à l’exprimer, c’est d’en bien observer les mouvemens dans la nature, mais ils échappent aisément par leur extrême simplicité : si l’on ne rend pas la naïveté avec la plus grande précision, ce n’est plus elle ; ce n’est que la mine ridicule qui a la sotte prétention de l’imiter. (Article de M. Levesque.)

NATURE . (subst. fem.) Ce mot dans le langage de l’art a plusieurs significations. Il se prend quelquefois pour le modèle vivant : peindre, dessiner d’après nature, c’est dessiner ou peindre d’après un modèle. On dit d’un artiste qui a pris un modèle, qu’il a pris la nature.

Nature s’oppose à copie. On peut demander si une tête est une copie, ou si elle est faite d’après nature.

Nature s’oppose encore à ce qu’on appelle pratique, c’est-à-dire à ce qu’on fait sans modèle & seulement par habitude. On sent que telle figure, telle draperie est faite d’après nature, telle autre de pratique.

Mais sur-tout on appelle nature les qualités extérieures & visibles de tout ce qui existe. Ce sont ces qualités que l’art prend pour objet de ses imitations.

Dans la première enfance de l’art, ceux qui le cultivoient n’étoient pas même capables de voir la nature. Ils ne se doutoient pas qu’il fût nécessaire de l’étudier, & sans se la mettre sous les yeux, ils la représentoient de mémoire telle qu’elle leur sembloit s’être offerte à leurs sens grossiers. C’est ainsi que les personnes qui n’ont aucune étude du dessin, & qui n’ont jamais considéré avec quelqu’attention les ouvrages de l’art, forment des traits roides, sans mouvement, sans proportion, qu’ils croyent ressembler à des figures d’hommes ou d’animaux. Tels furent les premiers essais des peintres. Ceux des sculpteurs ressembloient à des figures d’hommes à peu près comme l’instrument dont nos paveurs se servent pour enfoncer les pavés, & qu’ils nomment demoiselle, ressemble à une figure de femme.

Quand l’art fut plus avancé, quand on eut reconnu que pour rendre la nature, il falloit en faire une étude, on crut qu’il suffisoit de la saisir telle qu’elle s’offre le plus communément. Le premier modèle qui se présenta,

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