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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/744

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PAS porte où elle n’a pas coutume d’être ; elle abandonne les parties qu’elle a coutume d’embellir.

Dans les expressions violentes, où le cœur gonflé retrécit les passages du sang, & le force à séjourner avec plus d’abondance dans les endroits où il se porte naturellement, une chaleur enflammée domine dans presque toutes les parties & s’éleve jusques dans le blanc des yeux. Telle est la situation d’Hercule qui se brule sur le bucher, ou d’Anthée qu’Alcide étouffe. Mais tandis que les parties supérieures deviennent plus sanguines & que les inférieures conservent un ton de lividité, celles du milieu prennent une teinte roussâtre qui tient de la nuance des deux autres.

Une passion forte & qui se fait violence, telle que celle de Mithridate arrachant le secret de Monime, retient-elle le sang dans le cœur, & ne lui permet-elle d’en sortir que difficilement ? Une pâleur générale le répand sur la face du Prince dissimulé. Il n’est coloré que par les teintes verdâtres d’une bile extravasée qui, se mêlant aux tons des parties arrosées d’une petite quantité de sang, portent dans les yeux une pâleur jaunâtre qui peint énergiquement la jalousie & la terreur. Le Roi de Pont a-t-il pénétré le secret ? Il change de visage. Le trouble, la fureur, le désespoir l’ont subitement couvert des teintes les plus enflammées. La pâleur & la lividité ne sont répandues qu’autour de ses yeux & sur ses levres : tel est le jeu des passions violentes.

Dans les affections douces, la fraîcheur des teintes ne souffre presque aucune altération ; il est même des nuances qui en deviennent plus éclatantes. La pudeur d’une Vestale colore ses joues & son front d’un vif incarnat, & si les levres palissent, ce n’est que pour rendre le ton général plus vermeil. Le desir, l’espérance répandent plus de vivacité dans les yeux ; le chrystal de la lymphe en devient plus net, & le visage entier se couvre d’une teinte plus animée. Telles sont les couleurs qu’impriment successivement sur le front de Suzanne, insultée & calomniée, les divers mouvemens qu’éprouve son innocence.

Par ces images, on sent avec quelle énergie les divers modifications du coloris prêtent l’esprit & l’ame aux passions. Joignons à ces nuances celles du clair-obscur. Ménageons des lumières douces, des ombres tendres aux expressions agréables ; répandons-y des demi-teintes suaves, de beaux reflets, & enrichissons les d’un moëlleux convenable à la situation d’un cœur heureux, d’un esprit satisfait. Renaud & Armide, Acis & Galathée, Venus & Adonis seront peints dans ce goût.

Portons au contraire la vigueur des bruns & le piquant des clairs sur cette physionomie qui présente le caractère de la férocité & de la rage ;


telle est la barbare Médée ; tel est le furieux Ajax. Que des lumières aiguës pétillent sur les convexités de leur front ; qu’une masse obscure couvre l’enchâssement de leurs yeux ; que ces ombres fières, contribuant à faire saillir les parties de leur tête, en articulent quarrément les os & en prononcent les principaux muscles. Ces exagérations raisonnées retraceront à violence des caractères & les convulsions du cœur qui en est affecté.

Les diverses nuances de couleurs & de lumieres ont elles rapproché l’expression du degré d’excellence que nous ambitionnons d’atteindre ? Les touches vont l’y conduire avec succès. Portons-les avec enthousiasme dans cette physionomie souffrante de Prométhée ou de Marsyas. Ranimons d’un tact hardi, ferme, vigoureux, ces formes fiérementprononcées. Qu’un crayon emoussé écrase d’une part la sanguine dans ces masses d’obscur, que de l’autre il porte une craie éblouissante sur le reluisant des convexités ; ou, qu’un pinceau nourri de couleur laisse partout des traces du feu qui l’anime ; qu’un ébauchoir savament téméraire creuse avant dans l’argile, fouille sous les membres isolés & les détache habilement du fond.

Mais qu’une touche délicate & précieuse jette un tact fin & spirituel dans le caractere de cette jeune Aglaë ; que ce tact ménagé avec intelligence forme avec précision & avec goût les partis qu’il embellit ; qu’il soit fondu dans la pâte du crayon & de la couleur, dans l’argille même & qu’il soit partout relatif au caractere de l’objet qui le reçoit : hardi, large dans les masses de cheveux, dans tous les ornemens de la coëffure ; fin & spirituel au coin des yeux ; ressenti, vigoureux à l’endroit du nez ; doux & gracieusement lâché aux coins de la bouche ; répandant partout la vérité de l’expression, les richesses de l’art & le précieux de la nature.

Il est donc cinq moyens effentiels qui concourent a l’expression d’une tête : 1°. le bel ensemble ; 2°. les divers traits que la passion imprime sur le visage ; 3°. les variétés des tons qu’elle y jette ; 4°. les nuances de lumieres & d’ombres que l’on dit y porter ; 5°. la convenance des touches dont il faut l’assaisonner. Ces deux derniers moyens, ainsi que le premier, dédommagent la sculpture des ressources du coloris qu’elle n’a pas. Le saillant réel des objets, la fierté des touches, qui entrent physiquement dans l’argile, sont les équivalens de la couleur locale. Leurs effets ne sont pas moins énergiques. Est-il de tableau qui peigne une expression plus vivement que le marbre du Laocoon ?

Mais travaillant à l’expression, craignons de tomber dans le vice des grimaces qui ne sont que des exagérations maniérées. On affoibliroit