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son de faire un tableau, une statue, &c. etoit une obligation indivisible ; individuum obligatione ([1]). Ainsi l’amateur ne sera pas obligé de prendre le tableau, ni la statue non-finis, bien qu’il les ait demandés. Il arrive dans ce cas que, pour remplir l’obligation de l’artiste, ses héritiers, s’ils peuvent en obtenir le consentement de la partie, & si l’ouvrage est d’ailleurs très-avancé, le sont achever par une main habile, capable d’entrer dans les intentions de l’inventeur : c’est ainsi que Jules-Romain a terminé le fameux tableau de la bataille de Constantin conçu par Raphaël Sanzio son maître.

La plupart des questions que nous venons d’examiner sur les conventions verbales peuvent s’appliquer à celles qui sont écrites, & ont par-là, le vrai caractère de l’obligation. Nous ne sommes entrés dans autant d’espèces que par la raison que la plupart des traités avec artistes, se font verbalement.

Cependant si l’ouvrage est destiné pour un corps, tel qu’une municipalité, une communauté, ou un chapitre, &c. &c., ou si l’ouvrage se fait par l’entremise d’un tiers qui ait intérêt de mettre de la piécision dans les conditions du marché ; si enfin l’ouvrage est de longue haleine, & que l’artiste ait un véritible intérêt de s’en assurer, dans la nécessité où il est de renoncer à tous autres travaux pour remplir ses engagemens par rapport à ceux pour lesquels il contracte, alors il est bon, & il est même d’usage que le marché se fasse par écrit.

Il est triste d’être obligé de conseiller aux artistes de faire des marchés par écrit, dans la crainte d’être supplantés par des confrères cupides, capables de proposer un rabais sur le prix convenu ; mais ces procédés ignobles ne sont pas sans exemple, & il est prudent de s’en garantir.

Le premier cas qui se présente sur les conventions écrites, est une suite de celui que nous avons traité en dernier lieu, & qui entre dans la question sur l’indivisibilité de l’obligation. Nous allons voir ici qu’il y a des ouvrages tellement susceptibles de division, que les conventions du payement ne doivent pas moins s’en tenir, bien que les travaux n’ayent pas été terminés.

Par exemple : tel peintre est convenu de rcprésenter, en divers tableaux, l’histoire d’un pays ou d’un fameux personnage. Les personnes avec qui il a contracté, ont en cela desiré que l’histoire peinte dont il s’agit fût, comme on dit, de la même palette, ([2]) & du même style.


L’ouvrage est interrompu par une force majeure. On demande, si la condition de l’indivisibilité n’étant pas accomplie, on sera tenu de payer les tableaux faits. Nous croyons que l’on doit les payer, y ayant un obstacle indépendant de la volonté du peintre, & qui empêche que les autres tableaux ne soient faits par lui.

On doit distinguer en ce cas la nature de l’indivisibilité qui, entre plusieurs tableaux d’une même suite, n’est pas aussi nécessaire ni aussi exigible que dans les parties d’un même tableau. Il y a, en outre, une raison d’équité qui doit déterminer en faveur de l’artiste qui éprouveroit, à raison d’un événement accidentel, un préjudice bien grave par le non-payement des tableaux finis. D’ailleurs ces tableaux, quoique détachés, sont terminés, & ont une valeur réelle. Au lieu qu’un tableau qui n’est pas fini n’en a qu’une très-médiocre. Un motif encore de ne pas punir l’artiste, c’est que le gout qui a déterminé à la condition de l’ensemble par le même peintre, est la suite d’une recherche précieuse dans une histoire en tableaux ; mais le contraire de cette recherche n’est pas une imperfection, & l’entreprise se peut achever par d’autres mains : le mélange de divers artistes pour la même histoire a éte employé en beaucoup d’endroits, & a trouvé des partisans.

D’un autre côté un peintre ou un sculpteur auroit entrepris & fait marché pour exécuter une suite de tableaux ou de statues, & il auroit cédé à la convention d’un prix médiocre à raison de la quantité des ouvrages. Cependant les personnes qui l’auroient mis en œuvre, l’arrêteroient au milieu de l’entreprise, & prétendroient ne payer l’ouvrage fait, qu’en proportion du prix convenu pour le tout.

Il nous paroîtroit injuste de décider en faveur de cette prétention. L’evènement qui interrompt l’entreprise totale, n’a pu être prévu lors de la convention du prix, & cause un dommage évident à l’artiste. Son obligation l’a forcé à refuser des ouvrages avantageux. Elle a pu aussi arrêter les personnes instruites de son entreprise, qui en auroient eu à lui proposer.

Ainsi, l’obligation n’étant pas accomplie par la défense de continuer l’ouvrage ; il semble juste que la condition du prix convenu soit aussi annullée ; que les ouvrages faits soient payés suivant une nouvelle estimation, & que l’artiste soit dédommagé de son espérance frustrée, qui faisoit la base de toutes les conditions du marché.

La condition du temps dans l’espace duquel on doit rendre un ouvrage, est souvent une clause d’obligations dans les ouvrages de l’art. Cependant, il le faut avouer, cette clause tourne

  1. [1] Pothier, sur Dumoulin, T. I, p. 2. Ch. 4. § 297.
  2. [2] Voyez le mot Peinture.