Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T02.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226 PRO PRO


trop grands entre la courbure générale & la saillie de certaines parties droites, de sorte que le nez, par exemple, forme alors dans l’endroit où il se détache du visage, des angles aigus desagréables ; & quant au ridicule, il vient de ce que les traits gênés occasionnent des mouvemens pénibles, souvent gauches, qui excitent à rire. Les masques appuyent cette observation, puisque tous ceux qui sont destinés à exciter le rire, sont profilés de manière à raccourcir ou à allonger avec excès les parties & à occasionner, en s’éloignant ainsi de la forme ovale, les accidens dont je parle, tels que le rapprochement & l’élèvation marquée des lèvres vers le nez, le resserrement outré des yeux, les rides & enfin tous les mouvemens qui portent à la dérision.

Ainsi la grace, partie essentielle de la perfection, complément de la beauté, consistant dans les faciles mouvemens du corps, parfaitement accordés avec les impressions simples & douces de l’ame, on sent que plus les formes générales des parties, où se passent les mouvemens, telles qu’est la tête, contribuent à faciliter ce développement d’impressions relatives, plus elles sont favorables aux graces, & que plus les formes générales mettent d’opposition au développement des parties, & à leurs mouvemens, plus elles produisent la gêne & les disgraces.

Il seroit facile d’étendre davantage ces idées, & l’on appercevroit en quoi les variétés des courbures contribuent à caractériser différemment les têtes & les profils. En effet le profil allongé qui se rapproche de la ligne droite, produit une impression qui a rapport à l’uniformité & s’éloigne par là de ce qu’on appelle mouvement dans la partie des arts, expression qui a rapport aux lignes, aux contours & aux profils. L’uniformité a des rapports qu’on peut sentir avec les expressions sérieuses, graves & de là avec la majesté, &c.

En procédant par nuances de courbures, on rencontrera celles qui admettent sans gêne & sans excès les développemens & l’action, & qui, par ces qualités physiques, conviennent à la grace. Ensuite on s’approchera de celles qui s’arrondissant, & s’accourcissant, par conséquent, offrent des aspects moins développés, des mouvemens moins lians, plus gênés, & enfin, en passant ainsi par dégrés du convexe au concave, on arrivera jusqu’au grottesque, qui est l’opposé du grave & de la majesté.

On verra même que dans les objets inanimés, tels que les profils de l’architecture, ces principes produisent des applications analogues ; enfin, jusque dans les ornemens, dans certains ustensiles, tels que les vases, par exemple, les formes ovales, ou doucement courbées, sont celles qui plaisent davantage,


& qui sont plus susceptibles d’être ornées de bon goût, tandis que les formes contraires, c’est-à-dire, irrégulières dans leurs courbures, ou creuses, sont abandonnées au caprice & à la fantaisie qui s’affranchit des régles, & dédaigne le projet d’atteindre à la beauté.

(Article de M. Watelet.)

PROFUSION (subst. fem.) Quand les arts se sont élevés à un dégré de perfection qui leur attire une grande estime, cette estime engage un grand nombre d’hommes à rechercher leurs productions, un grand nombre d’autres à les exercer. Bientôt les ouvrages se multiplient avec profusion, créés & jugés par différens principes, entre lesquels il est difficile de distinguer quels sont les véritables principes de l’art : bientôt les vraies connoissances se brouillent ou s’altèrent par le trop grand nombre de prétendus connoisseurs : bientôt la satiété refroidit l’amour de l’art, & ce n’est plus que par vanité qu’on paroît l’aimer encore. Il se ruine donc par ses propres richesses, & la profusion avec laquelle il nous accorde ses bienfaits, prépare sa décadence. M. d’Hancarville a développé cette observation, & c’est lui qui va parler.

Ce n’est pas, dit-il, dans la magnificence des palais somptueux, dans la splendeur de ces appartemens, où l’or & la soie brillent de toutes parts, où la peinture n’est qu’un accessoire, où les plus beaux tableaux ne sont considérés que comme des meubles de prix qui flattent la vanité de leur possesseur ; enfin dans la société où nous sommes des tableaux nous-mêmes, que nous pouvons avoir le véritable amour de la peinture, ou du moins l’idée de la surprise qu’elle feroit naître, si moins accoutumés à ses productions, nous considérions, pour la première fois de notre vie, un beau morceau d’un grand maître, comme Raphaël… Si la peinture fait aujourd’hui sur nous moins d’impression qu’elle ne devroit, naturellement en faire, c’est peut-être parce que la trop grande facilité de jouir, qui ôte tant au plaisir de la jouissance, nous a rendu presqu’insensibles à ceux que nous procureroit un art si digne d’admiration, si nous n’en eussions pas abusé. C’est ainsi que le grand & magnifique spectacle que la nature bienfaisante met chaque jour sous nos yeux, ces astres répandus dans la vaste étendue des cieux, leurs mouvemens qui se succédent dans l’ordre alternatif des jours & des nuits, cette terre qui tous les ans se couvre d’une verdure nouvelle, touchent peu les hommes à qui l’inquiétant embarras des affaires, les soins pénibles de la fortune, l’insatiable envie d’acquérir & le trouble de leur ame, ont ôté toute espéce de sentiment pour ce qui est simple & naturel.