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fant Jesus produit un effet piquant ; les animaux sont supérieurement traités… Le dessin est assez pur & de grand goût : les têtes sont admirables, chacune dans leur caractère propre & marquées au coin de la nature ; il y a même beaucoup de noblesse dans celle de la Vierge, de l’Enfant Jesus & de Saint Joseph ; la touche du pinceau dl d’une hardiesse étonnante, & la couleur fière & vigoureuse. »

Les Sadeler ont beaucoup gravé d’après ce maître. Corneille Visscher a gravé d’après le Bassan l’Ange paroissant à Abraham & lui ordonnant de quitter son pays ; Dieu promettant à Abraham la terre de Canaan.

Jacques Bassan a eu quatre fils qui furent ses élèves. Les plus distingués sont François, mort en 1594 agé de quarante ans, dont il est quelquefois difficile de ne pas confondre les ouvrages avec ceux de son père : & Leandre, mort en 1623 à l’âge de soixante-cinq ans, qui excelloit à faire le portrait.

Les deux autres, Jean-Baptiste & Jérôme, n’ont fait que multiplier par des copies les tableaux de leur père.


(31) Jacques Robusti dit le Tintoret, parce qu’il étoit fils d’un teinturier. Il appartient à l’école Vénitienne, & naquit à Venise en 1512. Son goût pour la peinture se fit connoître de bonne-heure ; il fut placé dans l’école du Titien ; mais la célérité de ses progrès inspira de la jalousie à son maître qui le fit chasser. Cet affront apparent étoit en effet un titre de gloire : aussi Tintoret n’en fut-il pas humilié : il excusa la foiblesse du grand artiste qui l’avoit offensé, lui conserve son admiration, tâcha de l’imiter dans la couleur, & pour le surpasser dans la partie du dessin, il se livra à l’étude des ouvrages de Michel-Ange. On lisoit cette espèce d’axiome écrit sur les murs de son attelier : « le dessin de Michel-Ange & le coloris du Titien. » Il disegno di Michel-Angelo, e’l colorito di Tiziano.

Il avoit une telle passion pour les ouvrages d’une grande étendue, qu’il cherchoit à se lier avec les architectes pour obtenir d’eux de grandes entreprises sans en exiger aucune rétribution. Il acquit, par ce moyen une manière si expéditive, qu’il avoit plutôt fait un grand tableau que les autres n’en avoient tracé l’esquissè. Les confrères de Saint Roch vouloient orner leur chapelle d’un nouveau tableau, & le proposerent au concours. Paul Véronese, le Schiavone, Joseph Salviati, le Tintoret enfin se présenterent pour concourir : mais le dernier apporta son tableau le même jour où les autres apporterent leurs esquisses. Cette impétuosité, que les Italiens appelloient furie, lui


a fait mettre au jour bien des ouvrages négligés & incorrects.

Cependanr, quand il se piquoit de bien faire, il donnoit le plus grand soin à ses compositions. Non content de faire des esquisses, il modeloit en cire ou en terre de petites figures, il les plaçoit dans des chambres de bois ou de carton, il essayoit le jour le plus favorable à leur donner, & faisoit tomber sur elles à son gré les lumières & les ombres. Il se servoit de modeles semblables quand il devoit peindre des figures en l’air, & par ce moyen il en étudioit avec certitude les raccourcis, & se rendoit compte des effets que produisent les corps vus de bas en haut. C’est ainsi qu’il est parvenu à exprimer les raccourcis les plus hardis.

Quoique le feu lui ait fait négliger quelquefois la pureté du dessin, quoiqu’il fût admirable pour la couleur ; il répétoit souvent une maxime qui avoit bien de la force dans sa bouche ; c’est que le dessin est la bàse & le fondement de la peinture. Ce grand coloriste plaçoit le coloris dans un rang si inférieur, qu’il disoit que les belles couleurs se trouvent dans les boutiques des marchands, mais que le dessin ne se trouve. que dans le génie de l’artiste. Il ajoutoit que le noir & le blanc sont les couleurs les plus précieuses de la peinture, puisqu’elles suffisent pour donner du relief aux figures, & pour marquer les jours & les ombres. Ce grand peintre réduisoit donc au clair-obscur l’essence de l’art.

Il étoit fort inégal. Quelquefois son incorrection étoit difficile à supporter ; ses têtes étoient sans beauté, son dessin sans finesse & sans caractère ; d’autres fois il donnoit dans l’excès du fini, tomboit dans une manière pesante & fatiguée. Tantôt sa couleur même étoit mauvaise, sa composition symétrique, son ordonnance sans effet ; tantôt ses têtes etoient belles, ses effets vigoureux, son dessin plein de caractère. Son imagination étoit folle quelquefois, quelquefois poëtique & abondante. Mais il est étonnent dans ses beaux ouvrages. « L’enthousiasme de son génie, dit M. Cochin, & la fureur de son pinceau sont au dessus de toute comparaison. Il passe toutes les bornes de la raison, & cependant l’on ne peut se refuser aux sentimens d’admiration qu’il excite. On ne le connoît véritablement qu’à Venise, & ce qu’on voit ailleurs de lui, semble ne donner que l’idée de ses défauts ; car il n’est véritablement grand que dans les grandes choses qu’il a exécutées avec tout son feu. L’on y trouve, avec le faire le plus étonnant, la plus belle intelligence de lumière, & les tons de couleur les plus beaux & les plus hardis. »

Il a, comme la plupart des grands peintres de sa nation, excellé dans le portrait : mais il