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BAL

On remarque, par les tableaux de M. Whitworch, que l’année commune du commerce passif, ou d’importation de l’Angleterre avec la France pendant soixante-seize ans, n’a produit que quarante-cinq à cinquante mille livres sterling, & que son commerce actif, ou d’exportation avec nous, n’a pas moins donné de cent cinquante à deux cents mille livres, ensorte que l’avantage a été constamment de deux à trois cents pour cent, au profit de sa patrie, sans compter ses bénéfices avec la Flandre, dont le commerce est confondu avec celui de la Flandre-Autrichienne.

On reconnoît, en rapprochant les importations des exportations effectuées en 1762, & les années suivantes, jusques & compris 1773, que la balance a été, année commune, de cent mille livres au moins, en faveur de l’Angleterre, à l’exception de 1765, où elle a procuré trois mille deux cents cinquante-six livres à la France. Mais les années 1772 & 1773, nous sont très-défavorables, car la solde de notre commerce, avec cet état, paroît nous avoir coûté deux cents trente-six & deux cents quarante-un mille livres. Il est évident, d’après ces calculs, & d’après l’augmentation prodigieuse des importations de l’Angleterre en Flandre, que c’est vers l’année 1767, que le goût des marchandises angloises, de bijouterie, mercerie, quincaillerie, rubannerie & sellerie, a pris avec une fureur épidémique, & qu’un de ses moindres effets est d’enlever trois à quatre cents mille livres sterling par année, ou environ douze millions de livres, à l’industrie nationale, pour enrichir nos rivaux.

Au reste, l’auteur Anglois convient, que différents motifs d’intérêt & de vanité concourent à jetter des doutes sur la fidélité du tableau général du commerce de sa patrie. Comme une grande partie des marchandises exportées ne doit aucun droit, n’est sujette à aucune visite, les négocians sont dans l’usage d’évaluer très-haut leurs exportations, pour accroître leur crédit, & d’estimer le moins possible les objets de leurs importations, afin de diminuer les droits, qui ne portent en général, que sur ces derniers. Quoique la déclaration se fasse dans ces deux circonstances ; étant reçue gratuitement, lors de l’exportation, plus elle est enflée, plus elle donne la réputation d’un commerce étendu & d’une grande richesse. Il appelle ces déclarations exagérées, des fourberies innocentes, toutes les fois qu’il n’y a ni droits à payer, ni gratifications à recevoir.

Il ne seroit pas moins utile que curieux de s’assurer par l’examen des états tenus en France, pour établir aussi la balance de son commerce, si les calculs anglois sont exacts, & si notre désavantage apparent, en 1772 & 1773, a continué, & s’est accru dans les années suivantes, jusqu’en 1778, époque de la rupture survenue entre les deux états. Mais il semble que la balance de notre commerce n’ait jamais été jugée digne de l’attention de la nation, puisque jamais on ne lui en a fait conoître les résultats.

On sait cependant, que le gouvernement fait depuis long-tems, la dépense nécessaire pour rassembler les états généraux d’importation & d’exportation. Un arrêt du conseil du 29 février 1716, ordonna la formation de ces états, par ordre alphabétique, & assigna dix mille livres pour ce travail. Cette somme a été augmentée en 1745 ; mais il y a lieu de croise que ces états sont très-imparfaits, ou très-peu satisfaisans. Cette présomption se fortifie encore, par la connoissance de la constitution du royaume, relativement aux droits d’entrée & de sortie.

Tant qu’il existera des provinces & des villes traitées comme pays étrangers, il sera impossible de former en France, une balance de commerce, qui ait la moindre exactitude, par la raison que, tout ce que ces provinces & ces villes tirent de l’intérieur du royaume, tout ce qu’elles y envoient, est censé passer à l’étranger ou en venir. C’est dont ici un très-grand obstacle à ajouter à ceux qui naissent du fonds même de l’entreprise, & sont par-tout les mêmes : c’est-à-dire, l’infidélité des déclarations, la pratique de la fraude & de la contrebande à l’importation : objets qui ne peuvent être balancés, comme le prétendent quelques écrivains, par les exportations clandestines ; car, dans ce dernier cas, il n’existe, en France, qu’un très-petit nombre d’articles, qui offrent du bénéfice, & l’on pense, qu’ils sont comme un à mille, rapprochés de ceux d’importation.

L’auteur de la Richesse de l’Angleterre, ouvrage in-4o, imprimé à Vienne, en 1772, & dans lequel a été fondu le Mémoire sur les Finances d’Angleterre, de M. Greenville, prétend que le commerce de l’Inde, non-seulement fait pancher la balance du côté de l’Asie ; mais qu’elle a contribué, pendant plus d’un demi-siecle, à la décadence de l’industrie Européenne, qui n’a jamais pu soutenir la concurrence de l’industrie Indienne. « Les nations industrieuses qui se sont livrées au commerce des Indes, (dit cet écrivain page 73), ont cru conserver leur industrie, par les prohibitions chez elles, des toiles & des étoffes des Indes, & en les renvoyant à l’étranger ; mais elles n’ont apporté au mal qu’elles se faisoient, qu’un demi remede. Pouvoient-elles se dissimuler, que ces mêmes toiles, ces mêmes étoffes, prenoient chez l’étranger, la place de leurs manufactures, & les détruisoient, en diminuant sans cesse, le nombre de leurs consommateurs. C’est cependant à la France & à l’Angleterre, les deux nations les plus éclairées de l’Europe, qu’on peut reprocher cette faute ».

Cette faute ne paroîtra pas si grave, si l’on fait attention, que, quoiqu’en effet le commerce de l’Inde soit désavantageux par sa balance, qui se solde en espèces, néanmoins il procure le débit