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que les Grecs le dérivoient d’un prétendu Hellen, fils de Deucalion, & qui ne peut être qu’Ion.

M. de Gébelin dit que, dès qu’il est prouvé que Deucalion est le même que Noé, & que les. Hellènes sont des Pélasges qui confédérèrent, le systême de la chronologie grecque avant la guerre de Troye s’écroule entièrement, puisqu’elle n’étoit fondée que sur deux erreurs ; l’une que Deucalion avoit vécu dans la Grèce peu de siècles avant cette guerre ; l’autre, qu’il étoit père des Hellènes à l’exclusion des Pélasges.

La première époque de la chronique de Paros, ayant laquelle les Athéniens ne connoissent rien dans la Grèce, est le régne de Cécrops à Athènes, du seizième siècle avant l’ère vulgaire. Les Athéniens prétendoient que Cécrops les avoit retirés de l’état sauvage où ils vivoient. Ils disoient que Cécrops étoit contemporain de Deucalion.

Les habitans de l’Attique, sous le nom d’Ioniens, étoient divisés en douze tribus ; mais Thésée, après la mort d’Egée son père, les assembla en une cité & les réunit en un corps de ville, pour pouvoir se rassembler plus facilement. Il confia aux nobles l’administration des objets qui conçernoient le service des dieux & celui de la justice. Il donna à cette cité le nom d’Athènes. Selon le rapport de Plutarque, les habitans de l’Attique, avant cette époque, n’étoient connus dans la liste des Hellènes que sous le nom d’Ioniens.

Les deux derniers auteurs qui ont très-récemment publié une histoire générale de la Grèce, savoir M. Cousin Despréaux & M. John Gillies ([1]), ne se sont point appliqués a démontrer la vérité d’un système sur les premiers commencemens de la Grèce. Je vais donner une idée sommaire de la manière dont chacun de ces auteurs a traité l’origine des Grecs.

« Les peuples, dit M. Cousin (T. II, p. 1), ont un penchant à se donner une origine illustre, & qui, toujours parée de ce que le merveilleux peut ajouter, va se perdre dans la nuit des temps. Les Scythes disputoient d’ancienneté avec les Egyptiens. Ceux-ci faisoient remonter leurs annales au-delà de mille siècles, & les Babyloniens se vantoient d’avoir observé le cours des astres 473,000 ans avant le passage d’Alexandre en Asie ».

Si les rivalités nationales ont fait naître ce penchant, on doit à l’amour de la patrie de l’avoir fortifié. On se plaît à exalter ce qu’on aime. Les Grecs, qui portoient cet amour au plus haut degré d’énergie, se glorifioient d’une antiquité sans bornes. Les Athéniens se disoient aussi anciens que le


soleil. Les Arcadiens prétendoient exister avant la lune. Les Lacédémoniens étoient enfans de la terre : tous, en un mot, avoient ces dieux même pour ancêtres & pour fondateurs. Originaires des pays qu’ils habitoient, ils avoient enseigné les arts & les sciences aux autres nations. Ils avoient fait les premières actions dignes d’être transmises, à la postérité. Cependant, en les comparant aux peuples dont nous venons de parler, en les envisageant privés de tout cet appareil fabuleux, on trouvera que leur existence est très-récente, eu égard à celle de ces mêmes peuples à qui ils la doivent. A peine leurs annales remontent-elles au dix-neuvième siécle avant l’ère vulgaire. Leurs propres historiens nous donnent cette époque, en avouant l’état sauvage dans lequel les trouva plongés la première Colonie qui aborda chez eux.|0|0}}

Déjà des exploits glorieux, des profondes recherches, & des découvertes utiles illustroient d’autres nations. Déjà de grands empires florissoient. Cependant, les Grecs habitoient, sous un ciel heureux, le plus beau pays de la terre : ils tiroient leur origine de nations plus ou moins policées, qui n’avoient, pas ignoré les arts les plus nécessaires à la société. Comment perdirent-ils ces connoissances, que le temps perfectionne, & auxquelles il ajoute sans cesse, loin de les détruire ? Par quelles causes retombèrent-ils dans cette barbarie, où, sans liaison entre eux, & incapables de se procurer les moindres commodités de la vie, on les voit avant Inachus ?

Une révolution si étonnante ne peut s’être opérée que par quelque grande catastrophe, à moins qu’on ne suppose que les Grecs sauvages, en arrivant dans le pays, y restèrent tels jusqu’au temps dont nous parlons. Mais, si l’on fait attention aux nations civilisées qui environnoient la Grèce aux temps écoulés durant cet intervalle ; si l’on, se rappelle, en outre, que des peuplades multipliées les-unes par les autres, & formées de proche en proche, ne sauroient perdre entièrement l’idée des arts & des connoissances les plus simples, les plus nécessaires ; on s’appercevra qu’une pareille opinion n’a rien de vraisemblable.

Tout porte-à croire que la Grèce fut originairement habitée par des peuples, non pas aussi policés qu’ils le furent dans la suite, mais bien éloignés de cet abrutissement où nous les trouvons aux temps-des premières colonies. Il est probable qu’ils vivoient en société : leur dispersion totale, & l’ignorance qui en fut la suite, ne peuvent être attribuées qu’à quelque événement étrange.

La Grèce fut exposée à plusieurs déluges : ceux d’Ogygès & de Deucalion, dont les annales grecques font mention, en sont la preuve. On reconnoît encore, à la disposition du pays, entouré de montagnes élevées, entre lesquelles coulent un grand nombre de rivières, combien il dut être exposé à ces sortes d’accidens, avant

  1. (1) Le premier de ces ouvrages, en huit volumes, se trouve chez Durand, neveu ; le second, très-bien traduit en françois, & enrichi de savantes notes par M. Carra, se trouve chez Buisson, hôtel de Coët-Iosquet, rue Hautefeuille, 6 vol. in-8o. avec des cartes.

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