Deux de ses disciples, non moins célèbres que lui-même, eurent une influence aussi funeste qu’étendue ; ils fondèrent encore deux longs règnes à l’erreur. Chacun d’eux eut l’ambition particulière de dominer dans l’une des sciences dont j’écris l’histoire. Mais, comme s’il avoit été invinciblement refusé aux anciens d’y porter la lumière, le génie & la gloire de ces deux hommes ne servirent qu’à les embrouiller de nouvelles erreurs, & à les consacrer. Platon, né avec cette imagination qui aime à s’égarer dans le vague des abstractions, & qui ne peut les contempler sans les réaliser, ne vit dans la Métaphysique que des essences inintelligibles, dont il fit le type primordial des choses, & dont l’univers entier ne lui offrit que des emblèmes. Mais, parlant toujours avec magnificence, lors même qu’il ne pouvoit parler avec clarté, & maniant avec un charme infini la plus mélodieuse des langues, il parvint à accréditer, par la séduction des sens même, la plus obscure spiritualité. L’autre, tournant son génie vers la précision & la méthode, comme s’il eût voulu anéantir l’éloquence par laquelle régnoit son rival, & dont lui-même expliqua ensuite, les principes avec un succès qui maintient encore sa gloire, voulut soumettre toutes les opérations de l’esprit humain à un méchanisme, dont il créa le systême & traça les règles. Ils subjuguèrent le plus brillant des siècles, & par lui tous les autres. La philosophie, abusée par les chimères de l’un, enchaînée par les formules de l’autre, marcha dans un abîme, sans guide & sans but. Ne possédant plus de vérités, elle ne fut plus qu’une arène de disputes, où l’on ne songeoit plus à s’entendre, mais à se terrasser sous la masse des mots & des sophismes.
Dans ce long cours d’erreurs, qui se succédoient & se combattoient sans se détruire, on pouvoit craindre que l’esprit humain, perdant sa vigueur avec sa clarté, ne fut plus capable, dans aucunes parties, de reconnoître le vrai, ni de s’élever à rien de grand. Mais il fait triompher même d’une mauvaise philosophie, quand l’avancement social favorise son essor. Toutes ces fausses notions dont on avoit formé la métaphysique & la logique artificielles, n’avoient pu anéantir la métaphysique & la logique de la nature, instrumens de tous les bons travaux & partage de tous les esprits éminens. Il n’y eut que les sciences, qui exigent particuliérement une saine observation des choses & une excellente méthode de conduire son esprit, qui firent peu de progrès, chez les anciens ; & encore, au milieu de ces longues & fondamentales erreurs dont ils les infectèrent, ils surent saisir une