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PRÉLIMINAIRE

dans un livre tel que les Essais, où les citations, tantôt directes & tantôt ingénieusement détournées de leur vrai sens par la finesse des applications, ne changent point les résultats, & ne servent que d’ornement, n’est pas aussi indifférent dans des matières de faits & de discussion : là, pour trouver la vérité souvent si fugitive & si difficile à constater dans tout ce qui n’est pas du ressort des sciences exactes, il faut joindre à une logique très-sévère, beaucoup de discernement & de sagacité dans le choix des témoins, dans la manière de les interroger, de les confronter les uns aux autres, de les concilier, de déterminer leurs différens degrés de véracité ; & tirer ensuite de toutes ces autorités plus ou moins opposées. & réduites à leur juste valeur, une opinion à laquelle on puisse s’arrêter avec confiance, & qui ait au moins pour elle toutes les vraisemblances & les probabilités dont elle est susceptible.

Un auteur, dont on se plaît à emprunter jusqu’aux expressions mêmes, parce qu’elles ont, dans son style, d’ailleurs incorrect & familier, mais vif & serré, une énergie, une précision & une grâce inimitables, critique avec raison ces historiens qui « entreprennent de choisir les choses dignes d’estre sues, & nous cachent souvent telle parole, telle action privée qui nous instruiroit mieux ; obmettent pour choses incroyables celles qu’ils n’entendent pas ; & peut-être encore telle chose pour ne la sçavoir dire en bon latin ou françois. » Il veut « qu’ils jugent à leur poste mais qu’ils nous laissent aussi de quoi juger après eux : & qu’ils n’alterent ny dispensent par leurs racourciemens & par leur choix, rien sur le corps de la matière : ains qu’ils nous la renvoyent pure & entiere en toutes ses dimensions. » On regrette que cette leçon, si sage dans ce qu’elle blâme & dans ce qu’elle prescrit, n’ait pas servi de règle à Brucker & à Stanley, que par cela même, il faut liré par-tout avec beaucoup de précaution. Je dis mon avis d’autant plus librement, que je crois avoir acquis, par une étude réfléchie de la Philosophie ancienne & par celle de plusieurs sciences sans lesquelles il me paroît impossible de l’entendre & de l’éclaircir, le droit de juger ceux qui, n’ayant qu’une partie des connoissances & des instrumens nécessaires pour débrouiller ce chaos, n’ont fait, dans un certain sens qu’effleurer la matière & rendre plus sensible & plus prenant le besoin d’un ouvrage où il y ait moins à lire & plus à apprendre.

Si Brucker avoit été aussi instruit que laborieux ; s’il avoit eu autant de pénétration que de savoir, s’il avoit envisagé son sujet sous son vrai point de vue & dans tous ses rapports, il auroit fait un beau livre, dont la lecture auroit dispensé de beaucoup d’autres : c’eût été là un véritable traité de l’opinion, très-supérieur à celui de le Gendre, dans lequel il n’y a de philosophique que le titre, & d’utile que les citations. Le lecteur


    qu’il rapporte ; de les considérer dans la chaîne de raisonnemens où ils sont placés, & relativement à ce qui les précède & à ce qui les suit.