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DISCOURS

auroit trouvé dans le livre de Brucker, à-peu-près tel que je le conçois, un recueil complet de tout ce que, dans une longue suite de siècles marqués dans l’histoire par des époques plus ou moins longues de barbarie & de lumiere, l’esprit humain a pensé de plus absurde & de plus judicieux, de plus extravagant & de plus raisonnable, de plus conjectural & de plus précis : on y auroit vu l’homme en général & souvent le même individu, alternativement sage & fou, profond & frivole, circonspect & hardi, superstitieux & philosophe ; offrant sans cesse les contrastes les plus bizarres, ayant tantôt des idées puériles & tantôt des concepts sublimes ; luttant ici avec forces contre l’ignorance & les préjugés, devinant même quelquefois sans expériences & sans instrumens la marche & le secret de la nature & éclairant tout-à coup un horison immense ; là débitant gravement sur la physique, la politique & la morale, les rêves d’une imagination en délire, & travaillant dès-lors en silence & sans le savoir, à épuifer la série des erreurs par lesquelles l’homme semble être condamné à passer avant d’arriver à la vérité.

Un ouvrage critique & raisonné sur la philosophie ou la science générale des anciens, composé dans cet esprit & enrichi de toutes les connoissances spéculatives qu’il suppose & qu’il exige, offriroit au lecteur un spectacle curieux, souvent même imposant & très digne à plusieurs égards de son attention. Ce seroit une Histoire philosophique de l’entendement humain considéré dans ses différens périodes, au si l’on veut dans ses accès divers de force & de foiblesse, de raison & de folie : on y verroit marqués avec précision tous les pas que l’homme a faits jusqu’à présent vers l’erreur & vers la vérité ; & si l’on ne peut gueres douter de ce que Fontenelle observe quelque part, que l’histoire des folies des hommes ne soit une grande partie du savoir, & que malheureusement plusieurs de nos connoissances ne se réduisent là, nous serions au moins très-avancés dans celles de cette nature ; & ce seroit toujours une découverte importante que celle de toutes les routes qui mènent à l’erreur ; elle rendroit plus libre, plus courte & plus facile celle de la vérité.

On est étonné, sans doute, que l’énorme compilation de Brucker & de Stanley n’apprenne au fond que fort peu de choses, qu’on sauroit même mieux, & avec moins de peine & d’ennui, en consultant les sources. Les grandes recherches d’érudition effrayent l’imagination comme ces vastes receuils d’expériences de physique ou d’histoire naturelle : & cet effet n’est pas toujours la suite d’un défaut d’instruction, mais de cette paresse d’esprit à laquelle tous les hommes font plus ou moins enclins & qui est une source féconde d’erreurs & de préjugés. Tant de passages accumulés, tant d’expériences réunies, lorsque l’esprit philosophique n’a pas guidé le savant, & éclairé les pas de l’observateur, ne prouvent souvent que la patience de l’un, & les petites vues de l’autre. Il en est de ces recherches & ces recueils comme des relations des voyageurs, dont un philosophe disoit avec raison, « rien n’est si commun que les voyages & les rélations, mais il est rare que