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PRÉLIMINAIRE

à leurs auteurs, ou ne rapportent que ce qu’ils ont vu, ou aient bien vu, » & sans poésie.

Brucker & Stanley peuvent suffire à ceux qui, incapables d’un long travail & d’un certain degré d’attention, se contentent d’appercevoir les choses d’une vue générale & confuse, & qui sont fort aises de trouver rassemblés dans un même ouvrage, non pas tout ce qu’on peut savoir sur une matière, mais à-peu près tout ce qu’ils en veulent apprendre. Cette classe de lecteurs est partout la plus commune & la plus étendue. Mais ceux qui sont obsédés, tourmentés de ce desir, de ce besoin de connoître, de cette soif de l’instruction que l’âge augmente encore dans ce petit nombre d’hommes privilégiés que la nature destine en secret à la gloire & à l’illustration ; ceux qui veulent approfondir tout ce qu’ils étudient, & porter successivement la lumiere sur toutes les faces, sur tous les détails de l’objet qu’ils observent, trouveront Brucker & Stanley très superficiels & très prolixes ; c’est qu’il est bien difficile de ne pas omettre une infinité de choses essentielles, quand on en dit beaucoup de superflues, & que ce défaut est celui de presque tous les érudits : ils ressemblent plus ou moins à ce Posthume dont Martial se moque, & qui, ayant à parler pour un vol de trois chèvres, se jetta sur la bataille de Cannes & les guerres de Carthage. À quoi bon, lui dit le poëte, ces écarts pour étaler si mal-à-propos de l’éloquence & de la littérature ! Jam dic Posthume de tribus capellis.

Je sais que la sorte d’esprit & de sagacité nécessaire pour appercevoir les défauts d’un ouvrage ne suppose pas le talent d’en faire un bon, mais il n’en est pas moins vrai que c’est en remarquant les fautes de ceux qui nous ont précédés dans une carriere épineuse, en indiquant par des traits distincts les écueils contre lesquels ils se sont brisés, qu’on peut espérer de les éviter, & d’en préserver ceux qu’une fausse lueur pourroit égarer. Il y a dans tous les genres un certain degré de perfection dont il est très-difficile & très-rare d’approcher, & qu’il n’est pas même accordé à tout le monde de sentir[1] & d’admirer dans le petit nombre d’écrivains qui semblent l’avoir atteint. C’est vers ce terme que chacun éloigne ou qu’il rapproche selon la portée de sa vue, & la mesure ou le modèle idéal & abstrait qu’il s’est fait du beau & du bon, qu’on doit tendre constamment & avec effort, même sans l’espoir d’y arriver : car ici, comme dans la plupart des circonstances de la vie, ce n’est qu’en voulant faire mieux qu’on ne peut, qu’on parvient à faire à-peu-près aussi bien qu’on le doit. Quand je resterois fort au-dessous de mon sujet, ce qui arrive souvent à ceux qui tentent de grandes choses ; quand,

  1. Il y a telle page, ou même telle pensée de Tacite ; telle scène ou seulement tel hémistiche, tel mot de Racine, de Voltaire ou de Molière ; telle fable de Lafontaine, &c. dont toute la profondeur, tout le pathétique & le sublime, tout le comique, le naturel & la grace sont perdus pour le plus grand nombre des lecteurs.