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peut lui donner & enfin, parce que la vérité, pour se laisser voir toute pure doit se manifester par l’évidence.

Ce sont les raisons qu’il rapporte dans sa métaphysique, pour condamner cette philosophie symbolique, dont se servoit Platon. Ainsi, quand Aristote ne parle pas clairement ce n’est pas toujours tant par la qualité de son esprit, qui est naturellement profond que par une affectation pure d’être obscur & mystérieux, pour n’être pas entendu sans explication ; ce qu’il a declare assez par te titre qu’il donne à quelques-uns de ses livres qu’il appelle acroamatiques , parcequ’il falloit l’écouter pour le comprendre.

Mais je trouve dans sa manière de s’expliquer une sorte de mérite très-remarquable, c’est que cet auteur, d’ailleurs si éctairé, est encore le plus modeste & le moins affirmatif de tous les philosophes : il n’assure presque point ce qu’il avance : il dit simplement que cela lui paroît ainsi, & il semble ne dire ce qu’il pense qu’en hésitant. Quand Aphrodisée ou Averroès parlent de sa doctrine, ils n’en parlent que comme d’une chose évidente, & qui ne se peut contester, & il n’en parle lui-même, qu’en doutant, & avec une retenue admirable : il semble qu’il ait toujours de la peine à décider ce qui est un effet d’une connoissance plus profonde : car plus on est éclaire, plus on voit sa faiblesse. Son peut-être qu’il mêle si souvent dans tout ce qu’il dit, me paroît si beau, & je le trouve si propre au caractère d’un homme profond & savant, qui bien loin de s’enorgueillir, a assez de modestie pour se défier de ses lumières, que j’estime plus dans Aristote sa retenue & sa modération, que toute sa pénétration & sa science ; c’est-là la vertu d’une grande ame. Les grands génies hésitent, où les petits esprits ne s’expliquent que par des décisions, parce qu’ils n’ont pas assez de lumière pour douter. Ce n’est pas ainsi que fait Aristote, il avoue de bonne foi dans les livres de la génération qu’il a de la peine à éclaircir les difficultés qu’il se propose : il dit ingénuement dans ses météores que la cause qu’il rapporte des comètes ne le satisfait pas & dans les autres matières qu’il examine il ne donne ses solutions que comme des doutes. C’est une candeur très-rare & très-estimable.

De la logique d’Aristote.

La logique d’Aristote est sans doute plus distincte & plus méthodique que celle de Platon & quoiqu’Aristote se soit fort servi de la logique de Zénon d’Elée, qui en avoit écrit trois livres long-tems avant lui ; quoiqu’il ait tiré de grandes lumieres de la dialectique de cet Euclide, qui

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étoit de Mégare, & disciple de Socrate : il est certain toutefois qu’il a mieux connu la matière de cet art, qu’il l’a plus aprofondie qu’il en a plus éclairci les parties & qu’il les a mieux arrangées qu’aucun des philosophes qui en eussent écrit avant lui. On peut dire qu’Archytas, Zenon, Euclide & Platon ont inventé la matière de la dialectique : mais qu’Aristote en a lui seul dressé la forme : ce qui même lui a donné lieu de s’en faire honneur, & de dire que pour ce qui regarde la consommation du syllogisme (1), les autres n’en ont rien dit avant lui. C’est lui en effet qui a inventé l’art de la parfaite démonstration, en renfermant la capacité presque infinie de l’esprit de l’homme dans trois opérations, comme dans des bornes fixes, au-delà desquelles cet esprit tout libre & indépendant qu’il est, ne peut aller : c’est lui aussi qui a trouvé le secret de rectifier ces opérations pour en faire une matière déterminée au syllogisme.

C’est lui enfin qui a réduit dans trois figures qu’il a inventées, toutes les liaisons imaginables des deux termes qui composent l’énonciation avec le terme commun pour établir la forme de la démonstration ; mais une forme toujours directement concluante, par une règle qui porte le caractère de la même infaillibilité que les démonstrations de la plus exaxte géométrie.

C’est au chapitre quatrième du livre premier des analytiques, qu’il explique ce nouvel art de la comtruction du syllogisme. Et c’est par cet art merveilleux que ce philosophe a sçu trouver le moyen de donner à la pensée, qu’on suppose toute spirituelle, la même règle qu’on impose à la quantité, qui est toute matérielle ; & d’établir dans le raisonnement de l’esprit humain & dans ses opérations qui sont essentiellement libres & contingentes, une infaillibilité pareille à celle qui s trouve dans les démonstrations géométriques, qui sont essentiellement nécssaires : ce qui me paroît très-remarquable & très-digne d’éloge. Car que peut-on concevoir de plus ingénieux que cette invention des trois figures du syllogisme qui se forment de la diverse situation des deux termes avec le terme commun dont il est composé ? Et que peut-on trouver de plus satisfaisant pour un esprit juste que la certitude & l’évidence de la conclusion après les deux prémisses, quand il n’y a rien de vicieux, ni dans la matière, ni dans la forme ?

Quand on fait réflexion à l’arrangement universel de la logique d’Aristote, & à cet ordre

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(1) In dialecticis nihil penitus, ut ipse testatus Aristoteles ab antiquis scriptum aut dictum erat.

Trapez in comparat. Plat. & Arist. l. I.