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merveilleux de toutes les parties qui la composent : quand on examine les précautions que prend ce philosophe dans la préparation générale de la matière qu’il destine à l’argumentation, c’est-à-dire à l’établissement de l’ouvrage le plus solide que l’esprit humain puisse fermer & sur le fond le plus frêle & le plus variable qu’on se puisse imaginer, qui est la pensée & la parole : on ne peut s’empêcher de trouver cette conception également grande & forte. Que n’a-t-il point fait aussi pour donner un caractère de fermeté & de confiance à une matière si faible & si incertaine ?

Cet ouvrage renfermoit des difficultés qui paroissoient insurmontables : il falloit ôter l’ambiguité aux paroles, par une explication nette de ce qui étoit équivoque, & de ce qui ne ce l’étoit pas en fixant les termes à leur sens propre & naturel. Il étoit nécessaire d’éclaircir la confusion de la pensée, si ordinaire à l’esprit par la multiplicité de ses idées de développer les plis & les replis des opérations de cet esprit, de dissiper l’embarras presque inévitable des diverses espèces de propositions particulières, universelles, conditionelles, absolues, complexes, incomplexes, affirmatives, négatives, modales, équipollentes, & contradictoires : afin d’accoûtumer l’esprit à une représentation nue & simple, qu’il se doit former des objets, pour juger des choses, comme elles sont en elles-mêmes. Il falloit enfin découvrir les déguisemens & les artifices de l’entendement, qui sont innombrables, pour remédier à tous les défauts & à toutes les illusions de l’argumentation, & mettre au jour les faussetés & les impostures de tous les sophismes, & de tous les paralogismes imaginables.

Ce n’est pas tout : car ce grand homme, après avoir découvert entièrement ce qu’il y a de plus obscut & de plus caché dans l’esprit ; après avoir renfermé dans trois opérations fort simples, l’infinité de la pensée par cet art qu’il a inventé, a encore trouvé le moyen de rectifier ces trois opérations dans toutes les parties de sa logique : il a corrigé les défauts de la première par le livre des catégories, dans lequel il enseigne à distinguer les idées de chaque chose, selon l’ordre naturel que l’entendement doit garder pour les concevoir : il a réformé les défauts de la seconde opération qui est l’énonciation, dans le livre de l’interprétation, & dans le traité des postprédicamens & des (1) anteprédicamens, où il

(1) On appelle ainsi en logique, certaines questions préliminaires, qui éclaircissent & facilitent la doctrine des prédicaments & des catégories. Ces questions concernent l’univocité, l’équivocité des termes &c. On les appelle anté prédicamens, parce qu’Aris-

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explique la signification des termes, & les liaisons contingentes ou essentielles des uns avec les autres. Enfin il redresse ce qu’il y a de défectueux dans la troisième opération, dans les livres des topiques, des analytiques, & des sophismes.

C’est dans ces livres qu’il établit la construction des trois syllogismes, du sophistique qui fait l’erreur, du dialectique qui fait l’opinion, & du démonstratif qui est le seul syllogisme parfait par la qualité de sa matière & de sa forme, & qui fait la science.

Ainsi tout se suit dans la logique d’Aristote, tout va au même but, & tout concourt à l’établissement de la démonstration par le syllogisme, qui est le principe universel de toutes les sciences. Car on ne peut rien savoir sûrement sans cet art, d’autant que par la démonstration, non-seulement on a une parfaite certitude que la chose est : mais on a encore une parfaite connoissance de la raison par laquelle elle est, qui est le fruit le plus essentie de la science.

Il ne parut rien de réglé & d’établi sur la logique avant (1) Aristote. Ce génie si plein de raison & d’intelligence approfondit tellement l’abyme de l’esprit humain qu’il en pénétra tous les ressorts, par la distinction exacte qu’il fit de ses opérations. On n’avoit point encore sondé ce vaste fond des pensées de l’homme, pour en connoître la profondeur. Aristote fut le premier qui découvrit cette nouvelle voie, pour parvenir à la science, par l’évidence de la démonstration, & pour aller géométriquement à la démonstration, par l’infaillibilité du syllogisme, l’ouvrage le plus accompli, & un des plus grands efforts de l’esprit humain.

Voilà en abrégé l’art & la méthode de la logique d’Aristote qui est si sûre, qu’on ne peut avoir de parfaite certitude dans le raisonnement que par cette méthode : laquelle est une règle de penser juste ce qu’il faut penser.

Mais par quelle route est-il parvenu là, & quel art a-t-il mis en usage pour fixer l’esprit de l’homme naturellement léger && versatile, & pour le rendre inébranlable dans ce qu’il fait ? Il falloit commencer par ôter toute sorte d’ambiguité & d’équivoque à l’expression : faire du raisonnement humain une démonstration parfaite, qui n’a pour tout fondement que la parole &

tote les a placés avant les prédicamens, pour pouvoir traiter la matière des prédicamens, sans aucune interruption.

(1) Aristoteles utriusque partis dialecticae princeps. Cic. l. Top.