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218 ARI ARI

il prit entiérernent l’esprit. On prétend qu’Aristots ne put se résoudre à publier ses écrits, par respect pour Platon : parce qu’il conibattoit ses sentimens en bien des choses. Mais il y eût en cette conduite plus de politique que de vertu ; il voulut se ménager, parce que les esprits étoient alors trop prévenus en faveur de la doctrine de Platon. Ainsi pour mettre à couvert ses écrits, il les confia à Théophraste, avec défense expresse de les rendre publics : ce qui fut si exactement observé, que Théophraste qui en fut le dépositaire, Straton, Lycon, Démétrios le phalérien, Héraclides, qui se succédèrent les uns aux autres dans le lycée, n’enseignèrent la doctrine d’Aristote que par pure tradition. Cette tradition n’étant soutenue d’aucun écrit, devint froide dans la suite, & n’eut rien de cet enthousiasme qu’on remarque dans les autres sectes. Mais les écrits d’Aristote eurent une destinée si étrange, après la mort de Théophraste, au rapport de Strabon, qu’il est bon d’en expliquer le détail & d’en observer toutes les circonstances, pour marquer la cause du silence de ces siècles-là, sur la doctrine d’Aristote, tandis que celle de Platon faisoit tant de brait.

Théophraste, pour obéir exactement aux ordres de son maître confia en mourant au, plus cher de ses amis & de ses disciples, les ecrits d’Aristote, aux mêmes conditions qu’ils lui avoient été confiés. Cet ami s’appelloit Nélée ; il étoit de Scepsis, ville de la Troade, & mourut peu de temps après : ce ne fut pas sans faire comprendre à scs héritiers le prix du dépôt qu’il leur laissoit. Ils le sentirent si bien, ayant appris que le roi de Pergame, de qui la ville de Scepsis dépendoit, faisoit de grandes recherches de livres & d’écrits, pour faire une bibliothèque : ils enterrèrent dans un caveau bâti exprès, les écrits d’Aristote afin de s’en assurer davantage.

Ce trésor si précieux fut caché l’espace d’environ cent soixante années dans ce lieu secret, d’où enfin il fut tiré à demi rongé des vers, & presque tout gâté par l’humidité du lieu où l’on l’avoit mis. Mais on ne l’en tira que pour étre vendu fort cher à un riche bourgeois d’Athènes nommé Apellicon, qui vouloit se rendre considérable par la fantaisie qu’il avait d’amasser des livres, quoi qu’il n’eût pas de génie pour les sciences, comme le remarque Strabon.,Les professeurs qui enseignoient alors dans le lycée, l’ayant appris, se concilièrent la confiance & l’amitié de ce bourgeois, qui leur prêta pour quelque temps ces écrits : mais il les retira pour les remettre dans sa bibliothèque, qu’il rendit célèbre par un dépôt de cette importance.

Quelques années après, Sylla s’étant rendu maître de toute la Grèce, & ayant pris Athènes, il sut qu’il n’y avoit rien dans cette ville de plus précieux .que ces écrits d’Aristote, dorst Apellicon étoit le possesseur ; & il les fit enlever de sa bibliothèque pour les porter à Rome. Mais l’ambition qu’eût Sylla de se rendre maitre de la république, ne lut donna pas le loisir de penser a faire connoitre aux romains le trésor qu’il avoit apporté de Grèce : il mourut bientôt après, & ces écrits tombèrent entre les mains d’un grammairien nommé Tyrannion, qui en avoit eu connoissance par la liaison qu’il eut avec le bibliothécaire de Sylla. Quoi que ce grammairien fût fort habile & qu’il eut dressé une bibliothèque de plus de trente mille volumes, depuis que Lucullus l’eut pris dans la guerre contre Mithridate, & qu’il l’eut amené à Rome, il n’en connut pas mieux le prix des ouvrages d’Aristote.

Mais après sa mort, Andronicus le Rhodien étant venu à Rome, & très-capable d’apprécier le mérite d’Aristote, parce qu’il avoit été nourri dans le Lycée., il traita avec les héritiers de Tyrannion de ces écrits : & les ayant en son pouvoir, s’attacha avec tant d’ardeur a les examiner & à les reconnoître, qu’il en fut en quelque façon le premier restaurateur, comme l’assure Porphyre dans la vie de Plotin. Car non seulement il y rétablit ce qui s’y étoit gâté par la longueur du tems, & par la negligence de ceux qui avoient eu ces écrits entre les mains : mais il les tira mérne de l’étrange confusion où il les avoit trouvés & en fit faire des copies.

Ce fut cet Andronicus qui commença à faire connoître Aristote dans Rome, environ le tems que Cicéron s’élevoit, par sa grande réputation, aux premières charges de la république. Cet orateur philosophe etoit revenu depuis quelques tems d’un voyage de Grèce, oû il avoit eu commerce avec tous les habiles gens de ce pays-là : Ainsi il avoit appris ce que c’etoit qu’Aristote, il connoissoit une partie de son mérite, qui n’étoit,pas encore bien senti à Rome, comme il paroît par la surprise de Trébatius, qui étant venu rendre visite à Cicéron dans sa mairon de Tusculum, & étant entré avec lui dans sa bibliothèque, tomba par hasard sur le livre des Topiques d’Aristote, dont Cicéron avoit une copie. Trébatius lui demanda ce que c’étoit que ce livre, & de quelle matière il traitoit car quoiqu’il ne fût pas ignorant, il n’avoit pas toutefois encore entendu parler d’Aristote. Cicéron lui répondit qu’il ne devoit pas s’en étonner : car ce Philosophe n’étoit connu que de fort peu de gens (1).

(1) Quod quidem minime sum admiratus eurn philosophum Trebatio non esse cognitum qui ab ipsis philo-