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222 ARI ARI

on parloit avec estime depuis quelques temps dans l’Italie. Ainsi donc Aristote ne commença à être tout-à-fait connu en Occident que dans le sixième siècle ; & ce fut Boëce qui fut le plus grand génie de son temps pour les lettres, auquel on eut cette obligation.

Mais quoique le travail de Boëce dût attirer des sectateurs à la doctrine d’Aristote, dans un temps où il l’avoit exposée aux yeuxde tout le monde & avec tant de netteté : néanmoins par le malheur du siècle qui fut fort troublé par les guerres d’Italie & par l’ignorance des empereurs, il n’y eut depuis Boëce jusques à la fin du huitième siècle, que le seul saint Jean Damascène sous l’empereur Copronyme, qui parût avoir de l’amour pour la Philosophie. Il étoit de Syrie, où il y avoit encore quelque reste de littérature ; il s’attacha à l’étude d’Aristote & il fit un abrégé de sa Logique, de sa Morale, & de ses autres ouvrages.

Mais l’ignorance & la stupidité de ces temps-là & du siècle suivant fut si grande, qu’on prenoit pour des nécromantiens ceux qui savoient quelque chose, comme le dit Bellarmin du pape Sylvestre II, qui sçavoit la Philosophie & la Géométrie.

Il résulte de tout ce discours, que la doctrine d’Aristote fut peu connue des pères grecs, encore moins des pères latins et qu’ainsi elle fut de peu d’usage à la religion dans ces premiers siècles. Voyons si dans les fuivans elle n’a point été plus heureuse.

Sentimens des sçavans des huit derniers siècles, sur la doctrine d’Aristote.

La destinée de cette philosophie fut si bizarre dans les derniers siècles, qu’on a de la peine à comprendre comment on a pu faire dans la suite des temps des jugemens si divers d’une même personne : car jamais philosophie n’a été traitée avec plus d’honneur, ni avec plus d’infamie tout ensemble, que celle d’Aristote : le détail en est curieux.

Le peu de sçavans qui se trouvèrent dans le neuvième & le dixième siècle, l’ignorance de la langue grecque, la rareté des bons manuscrits des commentaires faits sur les ouvrages d’Aristote, arrêta fort le cours de sa dotrine : on ne vouloit pas se fier à ses interprètes sans consulter l’original de son texte. Outre que la subtilité ou plutôt la profondeur de sa doctrine, son style pressé & concis, qui demande une grande attention, détourna la plupart des esprits de s’y appliquer avec tout l’attachement nécessaire : les plus savans mêmes imitant les pères des premiers siècles, qui l’avoient négligé, crurent que ce philosophe ne méritoit pas d’être examiné : ils se défièrent aussi bien que ces pères, d’une philosophie trop attachée à la nature, au sens & à la raison, pour être de quelque ufage à la religion. Il se trouva même des demi sçavans qui entreprirent de décrier ce philosophe auprès des vrais théologiens, parce qu’ils n’y comprenoient rien.

Voilà l’état où étoit la philosophie d’Aristote dans l’église latine, qui n’eut pas alors des prosélytes fort intelligens, à cause de l’oisiveté où le calme dont elle jouissoit, avoit réduit la plupart des esprits. Il est vrai que la simplicité qui. régnoit dans ce siècle-là, sur-tout parmi les ecclésiastiques, & dans les monastères où étoient les seuls sçavans, ne put s’accommoder des raisonnemens d’Aristote qui sembloit inspirer un esprit de contradiction tout-à-fait opposé à la soumission de la foi. Ce fut aussi ce qui obligea saint Bernard & Otton évêque de Frisingue, de déclamer avec tant de zèle contre Abaillard & Porretin, évêque de Poitiers, qui s’étoient gâté l’esprit par une fausse dialectique qu’ils s’étoient faite en étudiant mal celle d’Aristote.

Les Grecs qui resteurirent dans l’onzième siècle & dans les suivans, avoient mieux compris Aristote, dans ces commentateurs des premiers siècles qu’ils lurent soigneusement : leur langue, qui ne laissa pas de se conserver à Constantinople malgré les guerres, leur servit pour entretenir quelque sorte de commerce avec Aristote & ses commentateurs.

Il y eut alors peu de sçavans qui ne s’attachassent à l’étude de ce philosophe, sur lequel la plupart même travaillèrent. Sisinnius, sous l’empereur Constantin Monomaque ; Psellus, sous Michel Stratonique ; Magentin & Michel d’Ephese, sous le règne d’Isaac Comnene ; Nicéphore Blemmydés, sous l’empereur Jean Ducas ; Eustathius, évêque de Thessalonique ; Cantacuzène, qui se fit religieux au mont Athos, après avoir porté la pourpre impériale ; George Pachymerès ; Théodore Méthochith ; George de Chypre ; Chilas d’Ephèse ; Daniel Cyzigène ; Glycis ; Grégoras ; Planudés, & les autres sous les empereurs suivans, qui donnèrent tous bien du crédit à Aristote dans l’église grecque.

Mais la réputation de ce grand homme s’étoit déja répandue avec bien plus de bruit dans toute l’Afrique parmi les arabes et les maures. Car Mahomet qui dans le septième siècle s’étoit érigé en prophète, en se faisant général d’armée, & qui avoit établi une nouvelle religion par le fer & par le feu, donna lieu par ses conquêtes à l’amour des lettres, dans un pays où elles étoient fort négligées : ce qui est une suite ordinaire de la puissance & de la prospérité.

Le premier Calife de ses successeurs qui s’est