Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

226 ARI ARI

trône comme dans les chaires des sophistes. Ce goût semble d’abord annoncer des progrès rapides ; mais en lisant l’histoire de ces temps-là, on est bientôt détrompé.

Sa décadence suivit celle de l’empire romain, & les barbares ne portèrent pas moins le dernier coup à celle-là qu’a celui-ci. Les peuples croupirent long-temps dans l’ignorance la plus crasse ; une dialectique dont la finesse consistoit dans l’équivoque des mots & dans des distinctions qui ne signifioient rien, étoit alors seule en honneur. Le vrai génie perce ; & les bons esprits, dès qu’ils se replient sur eux-mêmes, apperçoivent bientôt si on les a mis dans le vrai chemin qui conduit à la vérité.

A la renaissance des lettres, quelques sçavans instruits de la langue grecque, & connoissant la force du latin, entreprirent de donner une version exacte & correcte des ouvrages d’Aristote, dont ses disciples même disoient beaucoup de mal, n’ayant entre les mains que des traductions barbares, & qui représentoient plutôt l’esprit tudesque des traducteurs, que le beau génie de ce philosophe. Cela ne suffisoit point pourtant pour remédier entièrement au mal. Il falloit rendre communs les ouvrages d’Aristote ; c’étoit le devoir des princes, puisqu’il ne s’agissoit plus que de faire certaines dépenses. Leur empressement répondit à l’utilité : ils firent venir à grands frais, de l’orient, plusieurs manuscrits, & les mirent entre les mains de ceux qui étoient versés dans la langue grecque pour les traduire. Paul V s’acquit par-là beaucoup de gloire. Personne n’ignore combien les lettres doivent à ce pontife : il aimoit les sçavans, & la philosophie d’Aristote sur-tout avoit beaucoup d’attraits pour lui.

Les sçavans se multiplièrent, & avec eux les versions : on recouroit aux interprètes sur les endroits difficiles à entendre. Jusques-là, on n’avoir consulté qu’Averroès : c’étoit-là qu’alloient se briser toutes les disputes des sçavans. On le trouva dans la suite barbare ; & le goût étant devenu plus pur, les gens d’esprit cherchèrent un interprète plus poli & plus élégant. Ils choisirent donc Alexandre, qui passoit dans le Lycée pour l’intetprête le plus pur & le plus exact.

Averroès & lui étoient sans difficulté les deux chefs du péripatétisme, & ils avoient contribué à jetter un grand éclat sur cette secte : mais leurs dogmes sur la nature de l’ame n’étoient pas orthodoxes ; car Alexandre la croyoit mortelle ; Averroès l’avouoit à la vérité immortelle, mais il n’entendoit parler que d’une ame universelle, & à laquelle tous les hommes participent. Ces opinions étoient fort répandues du temps de saint Thomas qui les réfuta avec force. La secte d’Averroès pris le dessus en Italie.

Léon X. souverain pontife, crut devoir arrêter le cours de ces deux opinions si contraires aux dogmes du christianisme. Il fit condamner comme impie la docyrine d’Averroès dans le concile de Latran, qu’il avoir assemblé. « Comme de nos jours, dit ce souverain pontife, ceux qui sèment l’ivraie dans le champ du seigneur, ont répandu beaucoup d’erreurs, & en particulier sur la nature de l’ame raisonnable, disant qu’elle est mortelle, ou qu’une seule & même ame anime les corps de tous les hommes ; ou que d’autres retenus un peu par l’évangile, ont osé avancer qu’on pouvoir défendre ces sentimens dans la philosophie seulement, croyant pouvoir faire un partage entre la foi & la raison ; nous avons cru qu’il étoit de notre vigilance pastorale d’arrêter le progrès de ces erreurs. Nous les condamnons, le faint concile approuvant notre censure, & nous définissons que l’ame raisonnable est immortelle ; & que chaque homme est animé par une ame qui lui est propre, distinguée individuellement des autres ; & comme la vérité ne sauroit être opposée à elle-même, nous défendons d’enseigner quelque chose de contraire aux vérités de l’évangile ».

Les docteurs crurent que les foudres de l’église ne suffisoient pas pour faire abandonner aux savans ces opinions dangereuses. Ils leur opposèrent donc la philosophie de Platon, comme très-propre à remédier au mal : d’autres pour qui la philosophie d’Aristote avoit beaucoup d’attraits, & qui pourtant respectoient l’évangile, voulurent la concilier avec celle de Platon. D’autres enfin adoucissoient les paroles d’Aristote, & les plioient aux dogmes de la religion. Je crois qu’on ne sera pas fâché de trouver ici ceux qui se distinguèrent le plus dans ces sortes de disputes.

Parmi les grecs, qui abandonnèrent leur patrie, & qui vinrent pour ainsi dire transplanter les lettres en italie, Théodore de Gaza, fut un des plus célèbres ; il étoit instruit de tous les sentimens des différentes sectes de philosophie ; il étoit grand médecin, profond théologien, & sur-tout très-versé dans les belles-lettres. Il étoit de Thessalonique : les armes victorieuses d’Amurat qui ravageoit tout l’Orient, le firent réfugier en Italie. Le cardinal Bessarion le reçut avec amitié, & l’ordonna prêtre. ll traduisit l’histoire des animaux d’Aristore, & les problêmes de Théophraste sur les plantes. Ses traductions lui plaisoient tant, qu’il prétendoit avoir rendu en aussi beau latin Aristote, que ce philosophe avoit écrit lui-même en grec. Quoiqu’il passe pour un des meilleurs traducteurs, il faut avouer avec Erasme, qu’on