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ARI ARI 231

philosophie, les pères ne doivent avoir aucune autorité : mais dans un temps où l’on traitoit la Philosophie comme la Théologie, c’est-à-dire, dans un temps où toutes les disputes se vuidoient par une autorité, il est certain que les pères auroient dû beaucoup influer sur le choix qu’il y avoit à faire entre Platon & Aristote : ce dernier prévalut pourtant ; & dans le siècle où Descartes parut, on avoit une si grande vénération pour les sentimens d’Aristote, que l’évidence de toutes les raisons de Descartes eurent beaucoup de peine à lui faire des partisans.

Par la méthode qu’on suivoit alors, il étoit impossible qu’on sortit de la barbarie ; on ne raisonnoit pas pour découvrir de nouvelles vérités ; on se contentoit de savoir ce qu’Aristote avoit pensé. On recherchoit le sens de ses livres aussi scrupuleusement que les chrétiens cherchent à connoître le sens des écritures.

Les catholiques ne furent pas les seuls qui suivirent Aristote ; il eut beaucoup de partisans parmi les protestans, malgré les déclamations de Luther ; c’est qu’on aimoit mieux suivre les sentimens d’Aristote, que de n’en avoir aucun. Si Luther, au lieu de déclamer contre Aristote, avoit donné une bonne philosophie & qu’il eût ouvert une nouvelle route comme Descartes il auroit réussi à faire abandonner Aristote, parce qu’on ne sauroit détruire une opinion, sans lui en substituer une autre ; l’esprit ne veut rien perdre.

Pierre Pomponace fut un des plus célèbres périparéticiens du seizième siècle ; Mantoue étoit sa patrie. Il étoit si petit qu’il tenoit plus du nain que d’un homme ordinaire : il fit ses études à Padoue : ses progrès dans la Philosophie furent si grands, qu’en peu de temps il se trouva en état de l’enseigner aux autres. Il ouvrit donc une école à Padoue ; il expliquoit aux jeunes gens la véritable philosophie d’Aristote, & la comparoit avec celle d’Averroès. Il s’acquit une grande réputation, qui lui devint à charge par les ennemis qu’elle lui attira.

Achillinus, professeur alors à Padoue, ne put tenir contre tant d’éloges : sa bile savante & orgueilleuse s’alluma : il attaqua Pomponace, mais en pédant, & celui-ci répondit en homme poli : la douceur de son caractère rangea tout le monde de son parti ; car on ne marche pas volontiers sous les drapeaux d’un pédant. La victoire lui resta donc, & Achillinus n’en remporta que la honte d’avoir voulu étouffer de grands talens dans leur naissance.

Il faut avouer pourtant que, quoique les écrits de Pomponace fussent élégans, eu égard aux écrits d’Achillinus, ils se ressentent pourtant de la barbarie où l’on étoit encore.

La guerre le força de quitter Padoue, & de se retirer à Bologne. Comme il professoit précisément la même doctrine qu’Aristote, & que ce philosophe paroi t s’eloigner en quelques endroits de ce que la foi nous apprend, il s’attira la haine des zélés de son temps. Tous les frelons froqués cherchèrent à le picoter. dit un auteur contemporain ; mais il se mit l’abri de leur aiguillon, en protestant qu’il se soumettoit au jugement de l’église, & qu’il n’entendoit parler de la philosophie d’Aristote, que comme d’une chose problématique.

Il devint fort riche ; les uns disent par un triple mariage qu’il fit, & les autres par son seul savoir. Il mourut d’une rétention d’urine, âgé de 60 ans.

Pomponace fut un vrai pyrrhonien, & on peut dire qu il n’eut d’autre dieu qu’Aristote : il rioit de tout ce qu’il voyoit dans l’évangile & dans les écrivains sacrés : il tâchoit de répandre une certaine obscurité sur tous les dogmes de la religion chrétienne. Selon lui, l’homme n’est pas libre, ou Dieu ne connoît pas les choses futures, & n’entre en rien dans le cours des événemens ; c’est-à-dire que, selon lui, la providence détruit la liberté, ou que si l’on veut conserver la liberté, il faut nier la providence. Je ne comprends pas comment ses apologistes ont prétendu qu’il ne soutenoit cela qu’en Philosophe, & qu’en qualité de chrétien, il croyoit tous les dogmes de notre religion. Qui ne voit la frivolité d’une pareille distinction ? On sent dans tous ses écrits l’indépendance de son esprit ; il n’y a presque point de vérité dans notre religion, qu il n’ait attaquée. L’opinion des stoïciens sur un destin aveugle, lui paroît plus philosophique que la providence des chrétiens ; en un mot, son incrédulité se montre par-tout. Il oppose les stoïciens aux chrétiens, & il s’en faut bien qu’il fasse raisonner ces derniers aussi fortement que les premiers.

Il n’admettoit pas comme les stoïciens, une nécessité intrinsèque ; ce n’est pas, selon lui, par notre nature, que nous sommes nécessités, mais par un certain arrangement de choses qui nous est totalement étranger : il est difficile pourtant de savoir précisément son opinion là-dessus. Il trouve dans le sentisnent des péripatéticiens, des stoïciens & des chrétiens, sur la prédestination des difficultés insurmontables, il conclut pourtant à nier la providence.

On trouve toutes ces opinions dans son livre