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ARI ARI 235

celle de Venise lui avoient offert mille écus d’or par an pour professer la philosophie dans leur ville. La maison de Médicis le protégea beaucoup, & en particulier Léon X qui le combla de biens & d’honneurs. Il lui ordonna de réfuter le livre de Pomponace sur l’immortalité de l’ame, & de lui prouver que l’immortalité de l’ame n’étoit pas contraire aux sentimens d’Aristote ; ce que Pomponace prétendoit. C’est ainsi que la barbarie du siècle rendoit mauvaises les meilleures causes. Par la façon ridicule de réfuter Pomponace, ce philosophe se trouvoit avoir raison : car il est certain qu’Aristote ne croyoit pas l’immortalité de l’ame.

Si Niphus s’étoit attaché à prouver que l’ame étoit immortelle, il auroit fait voir que Pomponace avoit tort, avec Aristote, son maître & son guide. Niphus eut beaucoup d’adversaires, parce .que Pomponace avoit beaucoup de disciples.

Tous ces écrits contre lui n’empéchèrent pas qu’il ne fût fort agréable à Charles V, & même aux femmes de sa cour ; car ce philosophe, quoi qu’assez laid, savoit pourtant si bien dépouiller la rudesse philosophique, & prendre les airs de la cour, qu il étoit regardé comme un des hommes les plus aimables.

Il contoit agréablement, & avoit une imagination qui le servoit bien dans la conversation. Sa voix étoit sonore ; il aimoit les femmes, & beaucoup plus qu’il ne convenoit à un philosophe : il poussa quelquefois les aventures si loin, qu’il s’en fit mépriser & risqua quelque chose de plus. Bayle, comme on sent bien, s’étend beaucoup sur cet article ; il le suit dans toutes ses aventures, où nous croyons devoir le laisser.

Nous ne saurions trop nous élever contre ses moeurs, & contre la fureur de railler indistinctement tout le monde, sur quelque matière que ce fût. Il y a beaucoup de traits obscènes dans ses ouvrages. Le public se venge ordinairement : il y a fort peu de personnes sur qui on fasse des contes aussi plaisans que sur Niphus. Dans certains écrits, on dit qu’il devint fou : mais nous ne devons pas faire plus de cas de ces historiettes que des siennes. On peut assurer seulement que c’étoit un homme de beaucoup d’esprit ; on le voit aisément dans ses ouvrages.

Il a fait des commentaires sur presque tous les livres d’Aristote qui regardent la philosophie : c’est même ce qu’il a fait de mieux ; car ce qu’il a écrit sur la morale n’est pas à beaucoup près si bon. Son grand défaut étoit la diffusion ; lorsqu’il a une idée, il ne la quitte pas qu’il ne vous l’ait présentée de toutes les façons.

Parmi les derniers philosophes qui ont suivi le pur péripatétisme, Jacques Zabarella a été un des plus fameux. Il naquit à Padoue en 1533, d’une famille illustre.

L’esprit de ceux qui doivent faire un jour du bruit se développe de bonne heure. Au milieu des fautes & des mauvaises choses que fait un jeune homme, on découvre quelques traits de génie, s’il est destiné un jour à éclairer le monde. Tel fut Zabarella : il joignit à une grande facilité un désir insatiable de savoir. Il auroit voulu posséder toutes les sciences, & les épuiser toutes. Il s’escrima de bonne heure dans le péripatétisme ; car c’étoit alors le nec plus ultra des philosophes. Il s’appliqua sur-tout aux mathématiques & à l’astrologie, dans laquelle il fit de grands progrès. Le sénat de Venise l’estima si fort, qu’il le fit succéder à Bernard Tomitanus. Sa réputation ne fut point concentrée dans l’Italie seulement. Sigismond, alors roi de Pologne, lui offrit des avantages si considérables pour aller professer en Pologne, qu’il se détermina à quitter sa patrie, & à satisfaire aux désirs de Sigismond. Il a écrit plusieurs ouvrages qui lui donneroient une grande réputation, si nous étions encore dans la barbarie de ce temps-là : mais le nouveau jour qui luit sur le monde littéraire, obscurcit l’éclat que jettoient alors ces sortes de livres.

Les Piccolomini se doivent point être oubliés ici. Cette maison est aussi illustre par les savans qu’elle a produits, que par son ancienneté. Les parens d’Alexandre Piccolomini ayant hérité de leurs ancêtres l’amour des sciences voulurent le transmettre à leurs fils : pour cela, ils lui donnèrent toutes sortes de maîtres & les plus habiles. Ils ne pensoient pas comme on pense aujourd’hui : la vanité fait donner des précepteurs & des gouverneurs aux enfans ; il fuffit qu’on en ait un, on ne s’embarasse guère s’il est propre à donner l’éducation convenable ; on ne demande point s’il sait ce qu’il doit apprendre à son élève ; on veut seulement qu il ne soit pas cher. Je suis persuadé que cette façon de penser a causé la chute de plusieurs grandes maisons. Un jeune homme mal élevé donne dans toutes sortes de travers, & se ruine ; & s’il ne s’écarte pas de ses devoirs, il ne fait pas pour s’avancer, ce qu’il auroit pu faire s’il avoit eu une meilleure éducation.

On dit que les inclinations du duc de Bourgogne n’étoient pas tournées naturellement vers le bien : que ne fit donc pas l’éducation que lui donna le grand Fénélon, puisqu’il en fit un prince que la France pleurera toujours ?

G g a.