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PRÉLIMINAIRE

ture intérieure qui le rend plus propre à telle fonction qu’à telle autre, & qui l’y détermine même irrésistiblement, ne se prête qu’avec beaucoup de peine & sans succès à celles auxquelles il ne s’est pas d’abord accoutumé. J’observerai même à ce sujet que ce n’est pas seulement à l’égard du plus ou moins d’énergie des facultés intellectuelles qu’à une certaine époque l’homme est modifié pour le reste de sa vie : il l’est de même en bien ou en mal ; pour le vice, comme pour la vertu & c’est en ce sens général qu’il faut dire avec la Fontaine ;

Certain âge accompli,
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.

Il semble, au premier aspect, que la moitié des efforts que les pères de l’Église, les scolastiques & les théologiens de toutes les communions ont faits pour embarrasser de pièges, d’écueils & d’obscurités la route de la vérité leur auroit suffi pour l’applanir, & pour lever au moins une partie du voile qui la dérobe à nos foibles yeux ; mais lorsqu’on lit avec attention quelques-uns de leurs ouvrages les plus vantés par la tourbe sacerdotale ; lorsqu’on voit les sophismes, les misérables subtilités & le non sens dont ils sont remplis, on reconnoît bientôt que ces hommes, la plupart très-ignorans & d’une crédulité stupide, vivant d’ailleurs sous l’empire de ce fanatisme religieux, qui forme le caractère & l’esprit dominant de tous les siècles barbares, n’auroient fait dans aucune autre époque un meilleur usage de leurs talens, & d’une certaine sagacité qu’on ne peut leur refuser, & qu’on remarque jusques dans leurs erreurs les plus bizarres. Si la solution bonne ou mauvaise de ces questions ridicules & souvent absurdes, dont cette science vaine & contentieuse, qu’on appelle Théologie, est une source si féconde, n’avoit pas épuisé toutes les forces de leur esprit, ils les auroient portées avec la même activité sur d’autres objets aussi futiles ; de sorte que le résultat auroit toujours été le même ; ils auroient seulement perdu leur tems d’une autre manière ; mais en dernière analyse, nous n’en serions aujourd’hui ni plus instruits ni des interprètes plus sûrs & plus fidèles de la nature.

C’est ce qui me fait penser que les hommes doués de quelque aptitude extraordinaire pour les sciences ou pour les arts, sont, en général, dans quelque siècle, dans quelque circonstance où le hasard les fasse naître, à-peu-près tout ce qu’ils peuvent être, & font presque toujours la chose à laquelle ils sont particulièrement propres, & vers laquelle ils se sentent le plus fortement entraînés. S’il en est quelques-uns de déplacés, ils sont beaucoup plus rares qu’on ne le suppose communément ; & peut-être même qu’en y regardant de plus près, on trouveroit que ce sont plutôt des hommes de talent que des hommes de génie. En effet, ceux-ci ont tous, plus ou moins, cette espèce d’inquiétude automate qu’on remarque dans les animaux quelques momens avant leur sommeil, & qui les porte à s’agiter en tout sens, à changer sans cesse de position jus-


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