rent sur différens objets de besoin ou d’utilité, selon le goût ou le génie de leurs chefs, il y en eut qui se dévouèrent d’une façon spéciale à l’étude des choses saintes. Leur piété ayant attiré l’attention publique, ils obtinrent des rois de Babylone des privilèges & une demeure à part, dans le voisinage de cette capitale, en tirant vers le golfe Persique & l’Arabie déserte[1]. C’est-là qu’ils furent connus sous le nom de Chaldéens. On prétend que ce fut d’une de leurs villes, de Ur Chaldeorum, qu’Abraham partit pour suivre la voix de Dieu, qui l’appelloit dans la terre de Chanaan.
L’histoire sacrée & profane s’accordent à regarder les Chaldéens comme les plus anciens des philosophes. Doués de sagacité & de génie[2], placés sous le plus beau ciel du monde, & dans le sol le plus fertile ; ils furent bientôt en état, par le loisir & l’abondance dont ils jouissoient, de faire des recherches sur les causes, & de remettre sur le tapis les opinions, qui probablement avoient déjà exercé les esprits avant le déluge.
Ils étoient philosophes dans la rigueur du terme, s’il est vrai, comme l’a dit Platon, que la Philosophie ne soit que l’étude des choses divines & humaines, & des rapports qui lient ces choses entre elles[3]. Ils n’étudioient la nature, que pour parvenir à mieux connoître la divinité, & à juger de l’influence que celle-ci avoit sur le bonheur ou le malheur des hommes : caractère spécial de la philosophie antique, qui fut toujours frappée d’enthousiasme & de religion, & chez les Chaldéens plus qu’ailleurs.
Les Chaldéens conçurent dans leur Cosmogonie, de même que Moïse, 1o. Une masse informel un cahos, mêlé d’eau, de terre, de ténèbres, &c. 2o. Autour ou au-dessus de cette masse, une substance lumineuse, qui s’étendoit à des distances indéfinies. Il faut se souvenir de ces deux idées fondamentales, qui se retrouveront toujours dans tous les systêmes des anciens sur cette matière.
Ces deux idées étant posées, il étoit naturel que l’imagination des Chaldéens se peignît la divinité comme régnant au milieu de l’espace lumineux : c’est l’idée que nous nous en faisons nous-même encore aujourd’hui. Ils allèrent plus loin : ils donnèrent à Dieu le nom de cette lumière ; ils l’appellèrent, feu principe, feu intelligent, splendeur éternelle ; dénominations figurées, qui ne devoient être employées qu’avec des modifications & des restrictions que probablement les Chaldéens cessèrent d’y mettre, lorsque la pureté des idées primitives se fut altérée dans leurs esprits. S’ils prirent le change dans cette matière si délicate, du moins choisirent-ils l’image qui sembloit approcher le plus de l’immatérialité : celle que Dieu consacra lui-même dans la suite, lorsqu’il apparut à Moïse, sous la forme d’un buisson ardent, lorsqu’il marchoit à la tête de son peuple, sous la forme d’une colonne de feu ; enfin lorsque dans son tabernacle, il institua le feu sacré, pour être l’image sensible de sa présence & de son action.
À l’idée de cet être-lumière, les Chaldéens attachèrent tous les attributs qui appartiennent à la divinité. Il étoit éternel, tout-puissant, infiniment sage, infiniment bon ; c’étoit lui qui, par un choix libre de sa volonté, avoit formé le monde ; c’étoit lui qui le gouvernoit par des décrets[4] : en un mot, comme le dit un oracle de Zoroastre, cité par S. Justin & Eusèbe, les Chaldéens avoient sur la divinité, la même doctrine & les mêmes idées que les Hébreux[5]. Voilà donc un premier principe d’activité & de bonté, reconnu par les plus anciens philosophes du monde.
Le spectacle des maux qui affligent la nature, & dont le sentiment est si vif dans tous les hommes, leur en fit bientôt chercher un second. Comment attribuer à un être infiniment bon, tant de choses qui semblent mal dans l’ordre physique, & qui le sont en effet dans l’ordre moral ? Car l’objection est de tous les tems.
Les ténèbres, qui par elles-mêmes inspirent
- ↑ Strab. L. 15.
- ↑ Cic. de Div. 1, 57. Les Chaldéens, dit Hésychius, étoient des espèces de mages qui possédoient toutes les sciences. Ils s’appliquoient sur-tout à l’Astronomie, & y firent tant de progrès, qu’ils parvinrent par leurs observations, à décider, comme Stobée nous l’apprend, « Que les comètes sont des étoiles ou planètes qui se cachent pendant quelque tems, parce qu’elles sont très-éloignées de nous, & qui reparoissent quand elles descendent vers nous ; & qu’elles ne semblent s’évanouir, que parce qu’elles retournent dans leurs régions, dans les profondeurs de l’Ether, comme les poissons dans le fond des mers ». Eclog. Phys 63. Si on jugeoit des Chaldéens par cet échantillon, ils auroient été non-seulement les plus anciens, mais les plus judicieux & les plus profonds des philosophes ».
- ↑ Scietia rerum divinarum humanarumque, causarumque quibus hæ res continentur. Cic. de Off. 2. no 2.
- ↑ Diod. Sic. I. 2.
- ↑ Par. ad Gent. & Démonst. Ev. 3. Soli Chaldæi fortiti sunt & Hæbræi, purè colentes Deumegea per se genitum.