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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/163

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quelque chose en nous qui nous pousse à faire un choix ; s’il arrive que nous ne puissions sur-le-champ rendre raison des motifs qui nous déterminent, une légère attention sur la constitution de notre machine, sur celle des corps qui nous environnent, sur l’état actuel & précédent de notre esprit, & sur mille petites circonstances qui rentrent toutes dans ces causes principales, nous convaincra bientôt qu’il est inutile de chercher ailleurs le principe de notre détermination, & un état de pure indifférence & à je ne sais quel pouvoir de l’esprit, qui produiroit sur les objets les mêmes effets que les couleurs produisent, à ce qu’on nous dit, sur le caméléon. » En un mot, il est si peu disposé à convenir avec le docteur King, que l’expérience puisse servir de fondement à son systême sur la liberté, qu’il le regarde comme une chimère, & le compare à la puissance, qu’on attribue ordinairement aux fées de métamorphoser les choses à leur volonté.

Il paroît enfin que les journalistes de Paris sont fort éloignés d’adopter les idées du docteur King sur la liberté, & de croire avec lui que l’expérience les justifie.[1]

Ainsi, tout bien examiné, les preuves que l’expérience administre en faveur de la liberté, se réduisent à fort peu de choses, ou plutôt à rien. En effet, résumons un peu les raisonnemens des auteurs sur cette matière. Plusieurs ont honoré du nom de liberté des actions qui, au fond & à les considérer attentivement, sont nécessaires : quelques-uns ne peuvent s’empêcher de contredire eux-mêmes la commune expérience, à laquelle ils en appellent pourtant sans cesse, en convenant que la question de la liberté est très-obscure, & en le prouvant très-bien par leurs propres écrits ; les uns ne se déclarent pour la liberté qu’à cause des difficultés imaginaires qu’entraîne, selon eux, le systême de la nécessité, & n’ont point d’autre motif pour combattre une opinion qu’ils avouent être, suivant toutes les apparences, conforme à l’expérience : les autres, & ce sont les plus judicieux, ou pensent que la liberté ne sauroit se prouver par l’expérience, ou bien sont persuadés que l’expérience suffit seule pour apprendre aux hommes qu’ils sont des agens nécessaires : enfin le gros du genre humain a toujours eu pour principe que la nécessité déterminoit ses actions.

Réflexions particulières sur notre propre expérience.

Après m’être préparé les voyes en faisant voir que l’expérience ne prouve point la liberté, & en me servant pour cela des armes des défenseurs même de la liberté : après avoir détruit, par une conséquence naturelle, tous les argumens tirés de l’expérience en faveur de la liberté, il est tems d’entrer dans un examen sérieux & profond des différentes actions de l’homme relatives à mon sujet ; cet examen nous fera infailliblement connoître jusqu’à quel point nous devons compter sur l’expérience pour l’éclaircissement de l’importante question de savoir si les hommes sont des êtres libres ou nécessaires. Je crois que ces actions peuvent se réduire aisément à quatre, qui sont, 1o. la perception des idées ; 2o. le jugement ou la faculté de juger de plusieurs propositions ; 3o. la volonté ; 4o. le pouvoir de faire ce que nous voulons, & qui vont faire le sujet d’autant d’articles différens.

De la perception des idées.

Quant à cette première opération de l’esprit, tout nous prouve qu’elle n’est nullement volontaire, & conséquemment qu’elle est nécessaire. En effet, toutes nos idées, tant celles qui nous viennent des sens que celles qui naissent de la réflexion, s’offrent à nous, soit que nous le voulions ou que nous ne le voulions point, de façon même que nous ne sommes point les maîtres de les rejetter.

Lorsque nous pensons, nous ne pouvons nous empêcher de sentir que nous pensons : donc les idées qui naissent de la réflexion sont nécessaires. Lorsque nous veillons nous ne saurions nous dispenser de faire usage de nos sens : donc les idées qui nous viennent par les sens sont nécessaires. La même nécessité, qui nous force à recevoir des idées, fait aussi que chaque idée en particulier, est nécessairement ce qu’elle est dans notre esprit : car il n’est pas possible qu’une chose soit dans aucun cas différente d’elle-même ; il est évident que ce premier acte une fois nécessaire, est le principe & la cause originaire de tous les actes intellectuels de l’homme,[2] qu’il rend pareil-

lement
  1. « M. King (disent les journalistes en rendant compte de son livre de l’origine du mal) n’est content d’aucune des opinions qu’on a sur la liberté ; il en propose une nouvelle : il suit le sentiment commun, en ce qu’il veut que la liberté soit exempte de nécessité aussi bien que de contrainte ; mais il en pousse l’indifference jusqu’à soutenir que le plaisir n’est pas le motif, mais l’effet du choix de la volonté, placet res quia eligitur, non eligitur quia placet… Cette pensée le fait tomber dans beaucoup de contradictions » V. le journal des savans du 16 mars 1705.
  2. L’ame agit par ses desirs sur certains endroits du cerveau, sans savoir comment elle agit, quel sera l’effet de son action… les desirs qu’il faut concevoir en même tems comme autant d’efforts & d’impulsions, heurtent, ébranlent certaines parties du Sensorium, sphère de son activité. Cet ébranlement, en vertu du concert, qui règne entre toutes les pièces de la ma-