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lement nécessaires. Car, comme l’a fort bien remarqué un auteur[1] judicieux qui s’étoit attaché à observer la marche & les opérations de l’esprit humain. « Si les temples sont remplis d’images sacrées qui ont toujours eu la plus grande influence sur les actions de la plupart des hommes, on peut en dire à-peu-près autant des idées & des images peintes dans nos ames, & qui sont comme des puissances invisibles, qui nous subjuguent, & qui gouvernent absolument toutes nos actions. »

Du jugement.

La seconde opération de l’esprit est le jugement ou la faculté de juger de plusieurs propositions. Toute proposition doit me paroître ou évidente par elle-même, ou évidente en vertu de certaines preuves, ou seulement probable ou improbable, ou bien douteuse ou fausse. Or ces différentes apparences d’une proposition, relativement à moi, ne provenant que du degré de son évidence à mon égard & de la situation actuelle de mon esprit, je suis aussi peu le maître de changer quelque chose à ces diverses apparences par rapport à moi, que je le suis d’altérer l’idée qu’a fait naître en moi la sensation d’une certaine couleur déterminée, comme du rouge, par exemple. Il ne m’est pas possible non plus de porter un jugement contraire à ces apparences : car enfin, juger de plusieurs propositions, est-ce autre chose que prononcer sur leurs apparences telles qu’elles nous affectent ? On ne sauroit se dispenser de prononcer ainsi, à moins qu’on ne rejette le témoignage de sa propre conscience : or c’est ce qui est impossible. Tout homme qui s’imagine qu’il est en sa puissance de juger qu’une proposition n’est point évidente quoiqu’elle lui paroisse telle, ou de prononcer à son gré, qu’une proposition vraisemblable, l’est plus ou moins qu’elle ne le lui paroît en conséquence des preuves : un pareil homme, dis-je, ne sait ce qu’il dit, & ne tardera pas à reconnoître l’absurdité de sa prétention, pour peu qu’il veuille se donner la peine de définir les mots & d’analyser leur valeur.

La nécessité de cette détermination résultante des apparences des objets a été soutenue par tous les philosophes anciens, même par les académiciens et les sceptiques. Voici comment Cicéron s’exprime :[2] « Vouloir ôter à un homme le pouvoir d’acquiescer à une proposition dont il connoît l’évidence, c’est vouloir le priver de ses sens & de ses facultés intellectuelles : car enfin son esprit est aussi nécessairement déterminé à cet acquiescement, que l’est une balance à pencher vers le côté où se trouve le plus grand poids. En un mot, de même que les animaux, en général, n’ont de goût que pour les choses qui ont de la convenance avec leur nature, l’homme aussi ne peut acquiescer qu’aux choses qui lui paroissent claires & évidentes : il est donc inutile, ajoute-t-il, de disserter ici sur l’acquiescement que nous devons donner aux choses dont il est question entre nous, si elles sont réellement vraies. En effet, celui qui perçoit ou conçoit clairement une chose, ne peut manquer d’y acquiescer au même instant… Ce n’est pas seulement dans la pratique du vice, mais encore dans celle de la vertu, que l’approbation ou l’acquiescement précède l’action : tout dépend, dans l’un comme dans l’autre cas, de l’objet auquel l’homme a d’abord donné son approbation. Avant que nous nous déterminions à agir, & même afin que nous agissions, il faut nécessairement qu’il y eu précédemment quelque objet dont l’apparence quelconque nous ait affecté, & ait entraîné notre acquiescement. Il n’est donc pas possible d’ôter à l’homme le pouvoir d’acquiescer à une proposition en conséquence de l’impression qu’elle a faite sur son esprit sans détruire en lui au même instant, toute action ».

Il est facile d’étendre les conséquences de ce raisonnement à tous les jugemens que nous portons sur les choses, relatifs aux apparences qu’elles nous offrent. Ce ne seroit pas même faire tort à Cicéron, que de penser qu’en qualité d’académicien & de sceptique, il regardoit comme nécessaires toutes les espèces de jugemens ou d’acquiescement de l’homme fondés sur les apparences

  1. M. Locke, dans ses œuvres diverses, édit. de Rotterdam, 1710, en un vol. in-12. Traité de la conduite de l’esprit dans la recherche de la vérité, 141, 143.
  2. At verò animus quodam modo eripitur his, quos neque sentire neque adsentiri volunt.Etenim necesse est, ut lancem in librà, ponderibus inpositis, deprimi, sic animum perspicuis cedere. Nam, quomodo non potest animal ullum non appetere id, quod accommodatum ad naturam appareat (Græci id œkion appellant), sic non potest objectam rem perspicuam non approbare : quanquam, si illa, de quibus disputatum est, vera sunt, nihil attinet de astensione omnino loqui. Qui enim quid percipit assentitur statim… Maxime autem absurdum, vitia in ipsorum esse potestate, neque peccare quemquam nisi astensione : hoc idem in virtute non esse, cujus omnis constantia & firmitas ex is rebus constat, quibus assensa est, & quas approbavit : omninoque antè videri aliquid, quam agamus, necesse est, eique, quod visum sit, assentiri. Quare qui aut visum aut assensum tollit, is omnem actionem tollit è vita. Cicer. Quæst. academ. lib. 2.