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De l’imperfection de la liberté.

Je me propose ici de détruire toutes leurs prétentions à cet égard, en leur faisant voir que la liberté, à la considérer relativement aux différentes définitions que nous en donnent les théologiens & les philosophes, seroit souvent une imperfection dans l’homme, mais jamais une perfection, ce qui ne me sera pas plus difficile à prouver que l’impossibilité[1] de cette même liberté qui fait le sujet du chapitre précédent.

De la liberté considérée comme le pouvoir de porter dans des circonstances pareilles, différens jugemens sur plusieurs propositions individuellement les mêmes, & qui ne sont pas plus évidentes les unes que les autres.

De cette définition qui, de l’aveu même de nos adversaires,[2] n’exclut point la nécessité où nous sommes de porter le même jugement sur plusieurs propositions également évidentes, de cette définition, dis-je, une fois admise, il s’ensuivroit que les hommes, dans leurs jugemens, jouiroient d’une liberté qui ne serviroit qu’à les rendre des êtres imparfaits & déraisonnables.

En effet, s’il est vrai qu’ils agiroient en êtres déraisonnables, en jugeant que des propositions réellement évidentes ne le seroient pas : montreroient-ils plus de bon sens, en décidant que des propositions probables seroient improbables, ou que d’autres improbables seroient probables ? Les apparences que nous offrent les propositions, soit qu’elles nous paroissent évidentes, probables ou improbables, peuvent seules être la base des jugemens que nous en portons. D’ailleurs les apparences des propositions probables ou improbables relativement à nous, résultent aussi nécessairement des raisons respectives, qui nous les font paroître telles, que les apparences de propositions évidentes peuvent résulter des raisons qui nous les font paroître évidentes. Si c’est une marque de perfection & de bon-sens, dans un homme, de se déterminer sur des apparences de clarté & d’évidence, il n’est pas mions digne de sa qualité d’être raisonnable, de se déterminer sur des apparences de probabilité ou d’improbabilité : donc ce seroit une imperfection en lui de se déterminer autrement.

C’est avancer une absurdité palpable, & ôter à l’homme une perfection, au lieu de lui en donner, que de soutenir qu’il n’est point nécessairement déterminé dans ses jugemens respectifs par des apparences probables ou improbables, comme il l’est par des apparences évidentes ; il y a même plus, c’est que n’être point déterminé par des apparences de probabilité, annonceroit en lui une imperfection plus grande que de ne pas l’être par des apparences d’évidence.

En effet, presque toutes nos actions ont pour principe les apparences probables des choses ; il y en a, au contraire, fort peu qui soient fondées sur les apparences évidentes ; si donc il étoit possible que nous jugeassions improbable ou fausse une proposition qui nous paroîtroit probable, il faudroit avouer en même-tems aussi que nous manquerions de règle sûre[3] pour nous décider dans nos jugemens & dans nos actions.

  1. « Every act of man’swill and every desire and inclination proceedeth from some cause, and that from another cause, which causes in a continual chain (whose first link is in the hand of god, the first off all causes) proceed of necessity. So that to him, that could see the connexion of those causes, the necessity of all mens voluntary actions would appear manifest… they can have non passion nor appetite to any thing, of wich appetite god’s will is not the cause. And did not his will assure the necessity of man’s will and consequently of all that on man’swill dependeth, the Liberthy of men would be on contradiction and impediment to the omnipotence and liberty of god. Hobbes’s Leviathan part 2. c 21. p. 108.
  2. « Quand je dis, que nous sommes libres, j’entends (selon la définition de la liberté) qu’absolument parlant je pourrois juger, que ce que je juge vrai, ne l’est pas, & que, quand je m’examine moi-même, je me sens à cet égard dans une disposition toute différente, qu’à l’égard des propositions évidentes : je sens que je ne puis pas ne pas croire les dernières, & que je puis douter des autres ». (Telles sont les absurdités où conduit l’entêtement que l’on a pour un systême en faveur duquel on s’est une fois laissé prévenir. Voyez la bibliothèque choisie de le Clerc, tom. IIp. 88. 89.
  3. Que dire après cela de la définition que Chub donne de la liberté ? « C’est, dit-il, ce pouvoir qu’a chaque homme d’agir ou de ne point agir conformément ou d’une manière contraire à une règle ? » Rien n’égale l’absurdité d’une pareille définition, si ce n’est peut-être le raisonnement dont il l’appuie. « L’homme, continue-t-il, a une ame capable d’entendement & d’affections : chacune de ces facultés lui offre différens motifs d’agir ou de ne point agir, suivant les différentes circonstances ou il se trouve. Or quoiqu’un motif soit nécessaire pour qu’il agisse, [puisque la faculté active ne se déploiera point à moins que quelque raison précédente ne l’y pousse] nous n’en sommes pas moins libres pour cela. Car comme les motifs agissent sur nous par persuasion & : non pas par contrainte, aussi tout homme a le pouvoir d’admettre ou de rejetter ces motifs, c’est-à-dire, a la liberté d’agir ou de ne pas agir d’une manière conforme ou contraire à ce à quoi ces motifs tâchent de nous porter… Or quoique, quand nous sommes excités par quelque chose à agir, quelque motif finalement doive prévaloir, & que ce motif par rapport à l’événement soit aussi efficace pour produire ou pour empêcher l’action, qu’une nécessité physique, néanmoins il n’y a pas dans un cas la même compulsion que dans l’autre. » [Mais je demanderai à Chub, qu’importe ici le plus ou