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l’on rend à la divinité, & tantôt une dévotion excessive & superstitieuse.

S’il est constant & indubitable que les peuples Celtes avoient une Religion, il faut avouer cependant qu’elle étoit toute différente de celle des autres peuples. La différence, ou plutôt l’opposition étoit si grande, que Lucain ne fait pas difficulté de dire aux gaulois, « Si vous connoissez les dieux, si vous en avez une juste idée, il faudra convenir que le reste des hommes ne les connoît point du tout ! »

[1] Solis nosse Deos & cœli numina vobis, Aut solis nescire datum.

C’est pour cette raison que les Scythes & les Celtes détruisoient les autres religions par-tout où ils étoient les maîtres, & qu’ils punissoient du dernier supplice ceux qui vouloient introduire parmi eux des superstitions étrangères. Il en couta la vie à un roi des Scythes, nommé Scyles,[2] pour avoir participé au culte de Bacchus, dans une colonie grecque. Le célèbre Anacharsis fut traité avec la même sévérité[3] pour avoir voulu introduire parmi les Scythes les cérémonies que les grecs célébroient à l’honneur de la mere des dieux. Tâchons donc de fixer, avant toutes choses, l’idée que le Scythes & les Celtes avoient de la Divinité, & de l’objet du culte religieux. C’est le véritable & le seul moyen de voir clair dans leur religion, & de juger en quoi elle différoit de celle des autres peuples.

Les peuples Celtes avoient une juste idée de Dieu, & de ses perfections. Peut-être qu’ils donnoient dans le Polythéisme, comme la plûpart des autres nations. C’est une question que j’examinerai dans la suite. Mais au moins ils adoroient des intelligences pures, éternelles & immuables ; des Dieux spirituels, dégagés de toute matière, qui ne pouvoient être apperçus des yeux du corps. Ils leur attribuoient une science infinie, une puissance sans bornes, une justice incorruptible.

1o. C’étoit, par exemple, un principe reçu dans toute la Celtique, que les dieux connoissent parfaitement tout ce qui échappe aux lumières & à la pénétration de l’esprit humain ; & qu’ainsi le véritable moyen d’acquérir une connoissance claire & sure du passé, du présent, de l’avenir, & en général de tout ce qu’il importoit à l’homme de savoir, c’étoit de consulter la divinité qui résidoit dans toutes les créatures, & qui répondoit en mille manières différentes à ceux qui entendoient, ce que l’on appelloit la science des présages, & des divinations.

2o. L’idée qu’ils avoient de la puissance de Dieu n’étoit pas moins grande. Ils disoient que tout ce qui surpasse les forces de l’homme n’est jamais au dessus de la puissance divine. Ils concluoient de-la, que pour opérer des choses grandes & merveilleuses, il falloit que l’homme cherchât le secret de faire usage, & de disposer à son gré du pouvoir de l’Être tout puissant qui agit avec efficace dans toutes les créatures. C’étoit le fondement des charmes, & des maléfices dont ils se servoient pour se rendre invulnérables, pour arrêter l’activité naturelle du feu, pour exciter des tempêtes, pour gagner un procès, pour rendre un homme furieux, &c.

3o. Ils étoient si persuadés que la Divinité est incapable de se prévenir, de pervertir le droit, de favoriser une mauvaise cause, qu’ils en concluoient que le seul moyen de ne faire aucune injustice, c’étoit de remettre à l’être souverainement juste la décision des procès, & des contestations qui s’élevoient parmi les hommes. C’est l’origine de l’épreuve du feu, de l’eau, & d’une infinité d’autres pratiques superstitieuses auxquelles on donnoit le nom de jugement de Dieu. Si les conséquences que l’on tiroit des principes que je viens d’indiquer étoient quelquefois fausses & insoutenables, il faut convenir, au-moins, que ces principes étoient vrais & certains, & que les Celtes avoient une juste idée des perfections les plus essentielles de la divinité.

Ce ne sont cependant pas ces principes qui distinguoient la religion des Celtes. Ils ont été communs à toutes les religions, & à tous les peuples de l’univers. Les nations même qui servoient des dieux visibles & corporels, qui leur attribuoient les foiblesses, les vices, & les misères de la nature humaine, ne laissoient de les adorer, de les prier, d’implorer leur secours, & de jurer par leur nom. Par cela même ils leur attribuoient des qualités directement opposées aux premières ; la toute-présence, la toute-puissance, & les autres perfections qu’il faut supposer dans la divinité pour lui rendre un service religieux. Leur culte étoit fondé, non sur l’idée que les poëtes leur donnoient des dieux, mais sur celles que la saine raison se forme de l’Être infini, qui a produit ce vaste univers, & gravé dans tous ses ouvrages les caractères les


    Deos culit, Diis ministrat. Dicitur enim Orpheus Thrax, primus tradidiste græcorum mysteria, cultumque Deorum θρησκεύειν dixit, quia Thracium inventum erat. Suid. in θρησκεύειν. T. 2. p. 205.

  1. Lucan. lib. I. vs. 452.
  2. Herodot. 4. 79, 80.
  3. Herodot. 4. 76.