Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus sensibles de sa sagesse, de sa puissance, de sa bonté, & de ses autres perfections. Ce que les Celtes avoient de particulier, c’est qu’ils raisonnoient conséquemment à leurs principes, & qu’ils en faisoient usage pour la pratique.

1o. Parce qu’ils adoroient des dieux spirituels, ils ne vouloient pas qu’on représentât la divinité sous une forme corporelle. Ils se moquoient des peuples qui faisoient des idoles pour adorer l’ouvrage de leurs propres mains.[1] « Les germains, dit Tacite, estiment qu’il ne convient point à la grandeur des dieux celestes de les renfermer dans des murailles, ou de les représenter sous aucune forme humaine[2]. Ils consacrent des bois & des forêts, où ils ne voient la divinité que dans le respect qu’ils lui témoignent. »

J’aurai occasion de prouver, lorsque je parlerai du culte extérieur que les peuples Celtes rendoient à leurs Dieux, qu’ils avoient tous anciennement la même aversion pour les images & pour les statues : je montrerai aussi, dans les paragraphes suivans, pourquoi ils se faisoient un scrupule d’ériger des temples à la Divinité. Remarquons seulement ici que les traducteurs de Tacite n’ont pas rendu le sens de ses paroles. Lucos ac nemora consecrant, Deorumque nominibus appellant secretum illud, quod solâ reverentiâ vident. La version d’Ablancourt porte, ils se contentent de leur consacrer des bois, dont le plus caché est celui qu’ils adorent, & qu’ils ne voyent que du penser. Mezerai paraphrase les mêmes paroles par cette manière[3], dans ces noirs & obscurs enfoncemens, touchés d’une religieuse horreur, ils s’imaginoient quelque chose de terrible, & appelloient Dieu ce qu’ils ne voyoent point. Ce n’est point cela. Tacite veut dire qu’il y avoit dans les forêts sacrées, un lieu secret & très saint, où personne n’entroit que les seuls sacrificateurs, & où il n’y avoit d’ailleurs point d’objet sensible de la dévotion. Ce lieu secret portoit le nom[4] du Dieu qui y étoit adoré ; & le peuple ne l’y voyoit que par la profonde vénération avec laquelle il regardoit de loin un sanctuaire où il croyoit la Divinité présente.

2o. Une autre conséquence que les Celtes tiroient de l’idée qu’ils avoient d’un Dieu spirituel & éternel, c’est qu’il falloit être aussi extravagant qu’impie, pour adorer des dieux mâles & femelles[5], pour célébrer la fête de leur naissance & de leurs mariages, pour leur rendre un culte religieux auprès de leurs tombeaux, & dans les temples, bâtis sur leurs cadavres. « Ce n’est pas la coutume des Perses, disoit Hérodote[6], d’ériger des statues, des temples, & des autels. Ils accusent même de folie ceux qui le font. La raison en est, à mon sentiment, qu’ils ne croient pas, comme les grecs que les dieux soient issus des hommes. »

Clitarque avoit aussi remarqué[7], que les mages rejettoient avec mépris l’opinion de ceux qui distinguoint des dieux mâles & femelles.

À ces conséquences on peut en ajouter quelques autres qui résultent naturellement de la théologie des Celtes.

1o. On a assuré, sans aucun fondement, qu’ils adoroient Jupiter, Apollon, & les autres dieux des Grecs & des Romains. Hérodote dit, par exemple,[8] que les Scythes servent surtout Vesta, ensuite Jupiter & la Terre qu’ils regardent comme la

  1. Ceterum nec cohibere parietibus Deos, neque in ullam humani oris speciem assimilare, ex magnitudine cœlestium arbitrantur. Lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant, secretum illud, quod solà reverentia vident. Tacit. Germ. cap. 9.
  2. C’est encore aujourd’hui l’idée des Cserremisses, qui sont un peuple scythe, établi le long du Volga, dans le royaume de Casan. Ils disent que le dieu Jumala est éternel & tout-puissant, & que, par cette raison, il n’est pas permis de le representer & l’adorer dans des images. Stralenberg p. 419.
  3. Histoire de France avant Clovis, p. 39.
  4. On verra dans la suite que les peuples Celtes donnoient à leurs sanctuaires le nom de la divinité qui y étoit adorée, & que les prêtres portaient aussi le nom du dieu dont ils étoient les ministres.
  5. Les Scythes ne laissoient pas de dire eux-mêmes, que la terre étoit la femme de Jupiter ; mais ils le disoient dans un sens figuré. Voyez le § suivant.
  6. Persis neque statuas, neque templa, neque aras extruere consuetudo est, quinimo facientibus insaniam tribuere, ob id (ut mea fert opinio) quod non quemadmodum græci sentiunt, deos ex hominibus esse ortos. Herodot. 1. chap. 132.
  7. Magi imprimis repudiant eos qui dicunt, deos mares & fœminas esse. Clitarch. ap. Diog. Laert. p. chap. 132.
  8. Scythæ deorum hos solos propitiantur. Vestam ante omnes, deinde Jovem ac Tellurem, existimantes Tellurem Jovis conjugem esse. Post hos Apollinem, & Cœlestem Venerem, & Martem & Herculem. Hos cuncti Scythæ deos arbitrantur. Sed qui regii Scythæ vocantur, etiam Neptuno sacrificant, appellantes Vestam lingua sua Tabiti, Jovem Papæum, meâ sententià rectissime : Tellurem Appiam, Apollinem Oetosyrum, Cœlestem Venerem Artipasam, Neptunum Thamimasadem. Simulacra & aras & delubra, facienda non autant, præterquam Marti. Herodot. 4. 59.