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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/185

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en nous, ni comment nous pourrions faire des actions autres que celles par lui prévues, ou celles auxquelles il nous détermine actuellement. Il est donc clair que la prescience & la toute-puissance de Dieu forment des obstacles invincibles à notre liberté. Car il faut nécessairement que Dieu soit trompé dans sa prescience, & que son action sur nous demeure sans effet, ou bien que ses mouvemens & nos actions soient des suites nécessaires de sa prescience & de la détermination qu’il nous donne. Le savant docteur South ne craint point[1] de dire que la prescience d’un événement emporte la conséquence certaine & nécessaire que cet événement doit exister, d’autant plus que la certitude la prescience est uniquement fondée sur la certitude de la chose prévue ; en ce sens-là, la promesse & la volonté de Dieu donnent une existence nécessaire à la chose par lui promise & arrêtée, c’est-à-dire, que sa volonté & son décret en détermine nécessairement l’existence ; ainsi, ajoute-t-il, il étoit aussi impossible que Jésus-Christ ne ressuscitât point, qu’il l’étoit que Dieu voulût & promît une chose qui ne dût point exister dans son tems. »

Il me seroit aisé de citer ici, pour fortifier mes raisonnemens, plusieurs passages tirés même des écrits des plus grands théologiens[2] & des plus célèbres philosophes qui se sont hautement déclarés pour la liberté. En effet, presque tous sont forcés de convenir de l’impossibilité où ils sont eux-mêmes de concilier ensemble la prescience divine[3] & la liberté de l’homme ; or c’est là à quoi se réduit précisément la preuve que j’ai prétendu faire résulter de la considération de la prescience divine.

Argument tiré de la nature des récompenses & des châtimens établis dans la société civile.

Un autre argument qui démontre invinciblement que l’homme est un agent nécessaire, se tire de l’essence des châtimens & des récompenses dont on fait tous les jours usage dans la société pour son plus grand bien. Il est indubitable que, si l’homme n’étoit point un agent nécessaire, déterminé par le plaisir & par la douleur, les récompenses & les peines légales, qu’on peut regarder comme la base du systême de la société, ne porteroient sur aucun fondement.[4]

En effet, si les hommes n’étoient pas nécessairement déterminés par le plaisir & par la douleur, ou, ce qui revient au même, si ces deux sentimens n’étoient point les causes déterminantes de leurs volontés, je ne vois pas de quelle utilité pourroit être l’établissement des récompenses pour les porter à observer les loix, ou l’institution des peines, pour les empêcher d’enfreindre ces mêmes loix. Dès qu’ils seroient les maîtres de choisir le mal comme mal, & de rejetter les sensations agréables reconnues une fois pour telles, toutes les récompenses & toutes les peines du monde seroient des motifs impuissans pour les engager à faire une certaine action our pour les détourner d’une autre. Si, au contraire, il est vrai que le plaisir & la douleur produisent un effet nécessaire sur la volonté de l’homme, & qu’il ne puisse se dispenser de choisir ce qui lui paroît bon, & de rejetter ce qui lui paroît mauvais, il s’ensuit de là que l’établissement des peines & des récompenses est absolument nécessaire par rapport à l’homme, & que la vue des unes & des autres ne peut manquer de faire impression sur tous

  1. Serm. vol. 3. pag. 448.
  2. Voyez entr’autre les sermons de Tillotson, vol. 6. pag. 157. Stillin-fleet dans son livre de la satisfaction de J. C. pag. 55. Descartes, première partie de ses principes, chap 147. art. 41 les lettres de Locke, p. 27. Boursier, de l’action de Dieu sur les créatures, traité dans lequel on prouve la prémotion physique par le raisonnement, &c. imp. à Lille 1713 vol 1. 2. &c.
  3. « Il est certain que, quelque habiles que fussent les astronomes, ils ne pourroient pas prévoir les éclipses ; si le soleil ou la lune pouvoient quelquefois se détourner de leurs cours indépendamment de quelque cause que ce soit & de toute règle. Donc Dieu ne pourroit pas non plus prévoir les éclipses, & ce défaut de prescience en Dieu ne viendroit non plus que d’où viendroit le défaut de prescience des astronomes. Or le défaut de prescience dans les astronomes ne viendroit pas de ce qu’ils ne seroient pas les auteurs des mouvemens célestes, puisque cela est indifférent à lia prescience, ni de ce qu’ils ne connoîtroient pas assez bien les mouvemens, puisqu’on suppose qu’ils les connoîtroient aussi bien qu’il seroit possible ; mais le défaut de prescience en eux viendroit uniquement de ce que l’ordre établi dans les mouvemens célestes ne seroit pas nécessaire & invariable : donc de cette même cause viendroit en Dieu le défaut de prescience : donc Dieu, bien qu’infiniment puissant & infiniment intelligent, ne peut jamais prévoir ce qui ne dépend pas d’un ordre nécessaire & invariable : donc Dieu ne prévoit point du tout les actions des causes qu’on appelle libres. D’où il suit qu’il n’y a point de causes libres, ou que Dieu ne prévoit point leurs actions. En effet il est aisé de concevoir que Dieu prévoit infailliblement tout ce qui regarde l’ordre physique de l’univers, parce que cet ordre est nécessaire & sujet à des règles invariables qu’il a établies… Il n’est point de la gloire de Dieu ni de sa grandeur de prévoir des choses qu’il auroit fait lui-même de nature à ne pouvoir être prévues ». Voyez dans les nouvelles libertés de penser, le traité de la liberté, par M… première partie, page 115 & suivantes.
  4. Solon rempublicam container dice bat duabus rebus, præmio & pæna, Cic. Epist. 15. ad Brutum.