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par rapport à l’action qu’il a faite, que d’attribuer de l’intelligence à une maison qui écrase une personne par accident ; par conséquent, toutes les fois qu’un homme est déterminé par sa volonté à commettre un crime, & que sa punition peut servir à détourner les autres dru même crime, les loix ne lui font aucune injustice en le punissant d’avoir commis un crime que la force de la tentation, jointe à de mauvaises habitudes, ou d’autres causes l’ont nécessité à commettre[1].

J’ajoute ici une remarque à l’occasion d’une loi qui a lieu parmi nous. Personne n’ignore que la rigueur des loix n’épargne pas les biens des enfans de ceux qui se sont rendus coupables de haute trahison, & qu’elle leur fait porter la peine du crime de leurs peres ; cependant les dispositions des lois à cet égard ont toujours été regardées comme justes, parce qu’on les considère comme des moyens de retenir les pères dans leur devoir par la vue du malheur où leur rebellion plongeroit leurs enfans. On ne sauroit nier que, dans ce cas, les loix d’Angleterre, loin d’exiger que les personnes sujettes à ces châtimens soient des agens libres, ne les considèrent seulement pas comme des agens volontaires, ni même comme coupables personnellement du crime pour lequel elles subissent ces châtimens.


Deuxième objection.

« Il est inutile d’ordonner des peines & d’en infliger aux coupables pour empêcher les autres de commettre les mêmes crimes, si toutes leurs actions sont les suites d’une détermination nécessaire. »[2]


Première réponse.

Je soutiens en premier lieu, que les peines établies sont elles-mêmes des causes qui déterminent nécessairement plusieurs personnes à se conformer aux loix, & à ne point commettre les crimes auxquels ces peines ont été attachées ; l’institution de ces peines est donc utile par rapport à tous ceux dont les volontés sont propres à être nécessairement déterminées par là. L’utilité des loix pénales relativement à ces sortes de caractères, est même égale à celle de la chaleur du soleil pour mûrir les fruits de la terre, ou à celle de toutes les autres causes pour produire leurs effets respectifs. L’on seroit aussi bien fondé à soutenir que la chaleur du soleil est inutile, quoiqu’elle contribue nécessairement à faire mûrir les fruits de la terre, qu’on le seroit à dire que l’établissement des loix pénales ne peut être d’aucune utilité par rapport à ceux pour lesquels ces sortes de réglemens sont des espèces de freins qui les empêchent nécessairement de faire une mauvaise action. En général, les loix pénales dans le cas où elles punissent les coupables de crimes qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de commettre, est avantageuse à la société, en ce que, d’un côté, elles créent, pour ainsi dire, de nouvelles causes nécessaires qui influent sur les volitions de tous ceux qui ont besoin de ce joug pour obéir aux loix, & en ce que de l’autre elles retranchent de la société les membres corrompus & dangereux.


Deuxième réponse.

Je dis, en second lieu, que les loix pénales, loin d’être inutiles dans le cas où les hommes seroient des agens nécessaires, ne sauroient au contraire atteindre le double but que la société se propose d’ordinaire en les établissant, qui est de punir les coupables & de retenir les autres dans leur devoir, à moins que les hommes ne soient des agens nécessaires & déterminés invinciblement par le plaisir & la douleur. En effet, si les hommes étoient libres ou indifférens au plaisir & à la peine, les châtimens ne pourroient jamais être des motifs nécessairement déterminans pour les porter à l’observance des loix.


Troisième réponse.

Je maintiens en troisième lieu, que nous avons tous les jours devant les yeux des exemples de l’utilité des peines infligées à des êtres intelligens & sensibles que l’on regarde généralement comme des agens nécessaires. Tous les jours il nous arrive de châtier des chiens, des chevaux & d’autres animaux avec succès, & de parvenir ainsi à les dépouiller de leurs mauvaises habitudes, & à les rappeler à leur bon naturel. Ce sont là des faits incontestables, & que nous offre l’expérience journalière. Il est vrai que les défenseurs de la liberté ont fait tous leurs efforts pour éviter les conséquences qu’on pourroit en tirer contre

  1. (« … Enfin ce systême ne change rien à l’ordre du monde sinon qu’il ôte aux honnêtes gens un sujet de s’estimer & de mépriser les autres, & qu’il les porte à souffrir des injures sans avoir d’indignation ni d’aigreur contre ceux dont ils les reçoivent. J’avoue néanmoins que l’idée que l’on a de pouvoir se retenir sur le vice, est une chose qui aide souvent à nous retenir, & que la vérité que nous venons de découvrir est dangereuse pour ceux qui ont de mauvaises inclinations. Mais ce n’est pas la seule matière sur laquelle il semble que Dieu ait pris soin de cacher au commun des hommes les vérités qui auraient pu leur nuire… » Ibid. part 4 pag. 150.)
  2. (Ce raisonnement ne ressemble pas mal à celui que feroit un horloger à un homme qui lui présenteroit une montre pour la raccommoder, & qui lui diroit sérieusement ; « Toutes les peines que je pourrais me donner, tout le travail que je pourrois faire pour mettre votre montre en meilleur état, seroient inutiles, puisque son dérangement est la suite d’une détermination nécessaire, &c. »)