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propose dans une société en établissant des peines, c’est de prévenir, autant qu’il est possible, la commission de certains crimes, & que les peines produisent l’effet qu’on a eu en vue dans leur sanction de deux manières : 1o. en réprimant & en retranchant de la société les membres corrompus ; 2o. en intimidant les autres & en les retenant dans leur devoir par la terreur des exemples. Que les châtimens en question aient été établis dans l’une & l’autre de ces vues ; il est toujours évident qu’on n’a jamais songé pour rendre ces punitions justes, à supposer la liberté des actions humaines, & qu’au contraire les législateurs ont cru pouvoir les établir sans blesser la justice, quoiqu’ils sussent que l’homme étoit un agent nécessaire.[1]

En premier lieu, pourquoi retranche-t-on de la société comme des pestes publiques les meurtriers, par exemple, ou d’autres membres vicieux, si ce n’est parce qu’en ce cas, loin de les considérer comme des agens libres, on les regarde comme indignes de rester dans la société, & qu’on les traite, ainsi qu’une branche pourrie qu’on retranche du corps de l’arbre, ou comme un chien enragé qu’on assomme au milieu de la rue. La peine qu’on inflige à ces sortes de gens est juste, en ce qu’elle retranche de la société des membres dangereux. Par la même raison, les fols & les insensés, que tout le monde convient être des agens nécessaires, sont, en plusieurs pays, sujets à certaines peines légales, ou abandonnés à la discrétion des particuliers ; il en est de même des personnes infectées de quelque maladie contagieuse, lesquelles ne sont coupables d’aucun crime. N’arrive-t-il pas tous les jours que l’on retranche, & avec raison, ces sortes de gens de la société, & cela uniquement pour prévenir les funestes effets de la contagion ? En second lieu, à envisager l’inflixion des peines sur la personne de quelques malfaiteurs, comme un moyen d’intimider les autres membres de la société, & de les retenir dans leur devoir par la terreur des exemples, il y a tout lieu de croire que les législateurs qui ont établi les peines dans cette dernière vue, n’ont pu avoir égard à la liberté des actions humaines, dans l’idée de rendre juste la sanction des peines. Pour que les châtimens soient justes, il suffit que les hommes soient déterminés par leur volonté, ou qu’ils aient eu la volonté de commettre le crime qui les a mis dans le cas d’encourir ces châtimens. La loi, conforme en cela à la justice & à la droite raison, considère uniquement la volonté de l’homme, sans porter ses vues jusqu’aux autres[2] causes qui ont précédé l’action.


Supposons, par exemple, que la loi défende, sous peine de mort, de voler, & qu’il se trouve un homme qui, par la force de la tentation, soit nécessité à commettre un vol, & qu’en conséquence il soit puni de mort, le châtiment de cet homme, dans un pareil cas, ne sert-il point à détourner les autres de voler ? N’est-ce pas là une cause qui empêchera ces autres de commettre le même crime, qui pourra les éloigner du mal & les engager à pratiquer la justice ? au lieu que le supplice d’un criminel, qu’on ne regarderoit que comme un agent involontaire, d’un homme, par exemple, qui en auroit tué un autre par mégarde dans un accès de fièvre, ou dans d’autres circonstances pareilles, le supplice d’un tel homme, dis-je, ne pourroit, en aucune manière, empêcher d’autres de commettre un crime semblable. En effet, on auroit aussi peu de raison de regarder cet homme comme un être intelligent

par
  1. « Quant à la morale, ce système rend la vertu un pur bonheur, & le vice un pur malheur : il détruit donc toute la vanité & toute la présomption qu’on peut tirer de la vertu, & donne beaucoup de pitié pour les méchans sans inspirer de haine contre eux. Il n’ôte nullement l’espérance de les corriger, parce qu’à force d’exhortations & d’exemples, on peut mettre dans leur cerveau, les dispositions qui les déterminent à la vertu, & c’est ce qui conserve les loix, les peines & les récompenses. Les criminels sont des monstres qu’il faut étouffer en les plaignant, leur supplice en délivre la société, & épouvante ceux qui seroient portés à leur ressembler ». Voyez dans les nouvelles libertés de penser, le traité de la liberté, par M… part. 4. page. 140.
  2. « Sur les mouvemens volontaires du corps, l’opinion commune est que l’on remue librement le pié, le bras, & il est vrai que ces mouvemens sont volontaires, mais il ne s’en suit pas absolument de-là qu’il soit libre. Ce qu’on fait parce qu’on le veut, est volontaire, mais il n’est point libre à moins qu’on ne put s’empêcher réellement ou effectivement de le vouloir. Quand je remue la main pour écrire, j’écris parce que je le veux, & si je ne le voulois pas, je n’écrirois pas ; cela est volontaire & n’a nulle contrainte. Mais il y a dans mon cerveau une disposition matérielle qui me porte à vouloir écrire, ensorte que je ne puis pas réellement ne pas le vouloir ; cela est nécessaire & n’a nulle liberté ; ainsi ce qui est volontaire est en même-tems nécessaire, & ce qui est sans liberté, n’a pourtant pas de contrainte… L’ame est déterminée nécessairement par son cerveau à vouloir ce qu’elle veut, & sa volonté excite nécessairement dans son cerveau un mouvement par lequel elle l’exécute. Ainsi, si je n’avois point d’ame, je ne ferois point ce que je fais, & si je n’avois point un tel cerveau, je ne le voudrois point faire… Donc il n’est point absolument de la nature des mouvemens volontaires d’être libres. En effet c’est l’ame de fol (dont il est ici question,) qui remue son bras parce qu’elle veut tuer, mais elle est nécessairement portée à vouloir tuer en conséquence de telles dispositions de son cerveau ». Voyez dans les nouvelles libertés de penser, le traité de la liberté par M… en 4 parties, 3 part. pag. 137 & suivantes.