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Enée dirigé dans toutes ses actions par les conseils & par les inspirations de quelque divinité[1]. Le Tasse a eu l’attention de ne point laisser ses guerriers chrétiens manquer de secours célestes.

Les orateurs & les historiens ont souvent loué des actions purement nécessaires, & qu’ils annonçoient même comme telles. Quand Cicéron[2] faisoit entendre au peuple romain que les dieux avoient inspiré à Milon le dessein & le courage de tuer Clodius, son intention n’étoit point de diminuer la gloire de son client, mais au contraire de le rehausser encore davantage.[3] Peut-on mieux faire l’éloge d’un homme, que de dire de lui, comme Velleius Paterculus a dit de Caton, qu’il étoit bon par nature, parce qu’il ne pouvoit s’empêcher de l’être. En effet la seule bonté solide & véritable naît de nos dispositions naturelles ou acquises ; cette sorte de bonté est la seule sur laquelle on puisse sûrement compter, parce qu’elle ne sauroit jamais se démentir, ou du moins fort rarement. Au contraire, une bonté fondée sur des raisonnemens quelconques n’est qu’une bonté précaire. Il suffit, pour être entièrement persuadé de cette vérité, de jetter les yeux sur la conduite ordinaire des rhéteurs, qui font profession de déclamer contre le vice ; tous ces messieurs, malgré l’étalage continuel qu’ils nous font de tous les lieux communs tirés de l’excellence de la vertu & de la difformité du vice, malgré la connoissance qu’ils peuvent avoir des récompenses attachées à la première, & des peines inséparables du dernier ; tous ces messieurs, dis-je, n’en ont pas pour cela plus de bonté réelle que ceux qui n’ont pas, à beaucoup près, leur science. Enfin le proverbe, gaudeant benè nati, heureux ceux qui sont bien nés, doit nous apprendre quel fonds il y a à faire sur des êtres qui ne sont point nécessairement déterminés à pratiquer la vertu.


Quatrième objection.

« Si tous les événemens sont nécessaires, dit-on encore, le cours de la vie de chaque homme doit avoir un terme fixe & déterminé ; si cela est, il faut donc aller jusqu’à dire que le défaut de soins, les violences, les maladies ne sauroient l’abréger ; que de même les soins & les remèdes administrés par la médecine ne peuvent le prolonger, &, par une conséquence nécessaire, qu’il est inutile de faire usage de tous ces secours. »[4]

Je conviens avec nos adversaires, que si le cours de notre vie a un temps fixe & limité (ainsi que je l’ai toujours pensé, ) nos jours doivent nécessairement finir dans le temps prescrit, & qu’aucun incident ne sauroit en abréger ni en prolonger la durée. Ce terme marqué ne peut être avancé ni reculé ; le défaut de soins, les violences, les maladies ne peuvent rien changer à cet ordre immuable, non plus que les soins de nos amis ni les secours de la médecine : mais quoiqu’en général, ou dans un certain sens, ces choses ne puissent servir à prolonger ou bien à abréger notre vie, il est cependant certain, qu’en qualité de causes nécessaires, & faisant partie de la chaîne des causes qui contribuent à donner à la vie d’un homme une étendue plus ou moins considérable[5],

  1. Voyez les livres 1, 2, 4, 9, &c. de l’Enéide.
  2. Sed hujus beneficii gratiam, judices, fortuna populi romani, & vestra felicitas et dii immortales sibi deberi putant. Nec verò quisquam aliter arbitrari potest, nisi qui nullam vim esse ducit numenve divinum, quem neque imperii nostri magnitudo, neque sol ille, nec cœli signorumque motus, nec vicissitudines rerum atque ordines movent, neque id, quod maximum est, majorum nostrorum sapientia… Est, est profecto illa vis ; neque in his corporibus atque in hâc imbécillitate nostra inest quiddam quod vigeat & sentiat ; & non inest in hoc tanto naturæ, tam præclaro motu… Ea vis, ea igitur ipsa, qua sæpè incredibiles huic urbi felicitates atque opes attulit ; quæ illam perniciem extinxit & sustulit : cui primum mentem injecit, ut vi irritare ferroque lacescere fortissimum virum auderet, vinceretur ab eo, quem si vicisset, habiturus esset impunitatem & licentiam sempiternam. Non est humano consilio, nec mediocri quidem, judices, deorum immortalium curâ, res illa perfecta ; religiones mehercule ipsæ aræque, cùm illam belluam arderunt, commosse se videntur, & jus in illo suum retinuisse, &c. Cicer. Orat. pro A. Milone.
  3. Je pourrois citer ici plusieurs autres passages de différens auteurs, mais je me contenterai de rapporter ceux-ci. Stace, Thébaïde. liv. 10.

    Diva Jovis solis juxtà comes, unde per orbem
    Rara dari, terrisque solte contingere virtus,
    Seu pater omnipotens tribuit, sive ipsa capaces
    Elegit penetrare viros.


    Horace, Carm. sœcul.

    Dii probos mores docili juventæ.
    Et senectuti placidæ quietem… date.
  4. Voyez ci-dessus la note 54.
  5. Il faut que je rapporte ici une idée singulière de M. de Maupertuis. « Non-seulement, dit-il, on peut prolonger ou retarder la vie de differentes sortes d’insectes pendant qu’ils sont dans leur premier œuf, en empêchant cet œuf d’éclore : mais on peut encore la prolonger ou la retarder, lorsqu’ils sont sous la forme de chrysalide, en les tenant seulement dans un lieu froid, c’est-à-dire, en diminuant ou suspendant l’activité du mouvement de leurs parties. Cette prolongation ou ce délai qu’on peut causer à la vie de ces insectes est même plus considérable qu’on ne le penseroit : elle peut aller jusqu’à des