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elles doivent indispensablement précéder cet effet, comme les autres causes précèdent leurs effets respectifs ; d’où il suit que de l’omission ou de l’emploi de ces moyens considérés comme causes nécessaires, dépend essentiellement le bon ou le mauvais succès qu’on avoit lieu d’espérer ou d’appréhender de l’omission ou de l’emploi de tels ou tels moyens requis pour amener tel ou tel événement.

Supposons, par exemple, que les inondations annuelles du Nil[1] soient fixes & déterminées, tout cela n’empêche pas que tous les moyens requis pour causer ces inondations, ne doivent les précéder nécessairement. Car il seroit absurde de dire que les inondations annuelles du Nil, une fois supposées fixes & déterminées, pussent arriver sans qu’il fût nécessaire que les moyens requis pour les produire les précédassent. Il n’y auroit pas moins d’absurdité à conclure de ce que le cours de la vie humaine est déterminé, à en conclure, dis-je, quelque chose contre la nécessité des moyens & des causes qui contribuent à donner à notre vie une étendue plus ou moins considérable.


Cinquième objection.

On demande comment un homme pourroit agir contre sa propre conscience, & sentir jamais des remords, s’il savoit que ses actions sont nécessaires, & si, en commettant un péché, il pensoit agir pour le mieux ? »

À cela voici ma réponse. Notre conscience n’étant autre chose que l’opinion que nous avons de nos propres actions, relative à quelque règle, il peut nous arriver au moment où nous faisons une mauvaise action, de savoir que nous agissons contre cette règle, & de nous porter à cette action avec une répugnance qui ne soit cependant pas suffisante pour nous en détourner. Mais, lorsque cette action est absolument consommée, nous pouvons, non seulement juger que nous avons violé cette règle, mais en avoir même des remords très-cuisants par la honte à laquelle elle nous expose, ou par la vue des châtimens auxquels elle nous assujettit ; sentiment qui nous occupe alors d’autant plus fortement, que nous ne sommes plus distraits par l’apparence qui nous avoit d’abord séduits ;[2] c’est alors que nous nous savons mauvais gré d’avoir fait cette action, que nous nous accablons de reproches secrets, & que, dans l’amertume de notre repentir, nous voudrions bien ne pas l’avoir faite, & cela uniquement à cause des conséquences qu’elle entraîne avec elle.


Sixième & dernière objection.

» Maintenant, dit-on enfin, si tous les événemens sont nécessaires, il étoit donc aussi impossible, par exemple, à Jules Cæsar de fuir la mort qui l’attendoit au milieu du sénat, qu’il l’est en arithmétique, que deux fois deux fassent six. Mais comment penser que l’un fût aussi impossible que l’est l’autre, puisque rien ne nous empêche d’imaginer que Jules Cæsar pouvoit finir ses jours en toit autre lieu du monde comme dans le sénat ; & qu’au contraire il n’est pas possible de concevoir que deux fois deux fassent six. »

Je suis le premier à reconnoître que, si tous événemens sont nécessaires, il étoit aussi impossible à Jules Cæsar d’éviter la mort qui l’attendait au milieu du sénat, qu’il l’est en arithmétique que deux fois deux fassent six. J’ajoute même qu’il n’est pas plus possible de concevoir que Jules Cæsar pût finir ses jours ailleurs que dans le sénat, qu’il l’est de penser que deux fois fassent six. En effet, pour parvenir à concevoir que Jules Cæsar pût mourir ailleurs, il faut nécessairement supposer d’autres circonstances qui eussent précédé ce nouveau genre de mort, différentes de celles qui ont réellement précédé son assassinat. Mais si l’on suppose une fois sa mort précédée & accompagnée des mêmes circonstances dont l’histoire nous dit que son assassinat fut précédé


    années ; & sur une vie dont la durée ordinaire n’est que de quelques jours, des années sont plus que ne seroient pour nous plusieurs siècles. Si donc on trouvoit l’art de ralentir la végétation de nos corps, peut-être parviendroit-on à augmenter de beaucoup la durée de notre vie : ou si l’on pouvoit les tenir dans une suspension plus parfaite de leurs fonctions, peut-être parviendroit-on à remettre différentes périodes de notre vie à des tems fort éloignés ». Voyez les lettres de M. de Maupertuis, 2. édit. in-16. 1753, let. 18. pag. 163. & suiv.

  1. On a beaucoup parlé des débordemens du Nil. On peut voir ce qu’en pensoit Héliodore qui vivoit sous l’empire d’Arcadius & d’Honorius, dans son Histoire Æthiopique, ou les amours de Théagène & de Chariclée liv 2, pag. 112, Édit. de Lyon 1611. Ce roman, composé en grec par Héliodore, évêque de Tricca en Thessalie, a été traduit en françois par Octavien de saint Gelais, évêque d’Angoulême, & par Amyot, évêque d’Auxerre.
  2. … « Comme ces choses sont très-différentes dans leur nature, l’une devient nécessairement l’objet de notre approbation & de nos desirs, & l’autre celui de notre aversion : car quoique dans certaines occasions, le bien naturel puisse être rejetté, & le mal naturel choisi, cela ne leur arrive pas à cause d’eux-mêmes, mais par la relation qu’ils ont avec quelque bien ou quelque mal : c’est ainsi que nous rejettons la jouissance de quelque bien qui feroit perdre à nous ou aux autres un bien plus considérable : il en est du choix que l’on fait de certains maux ». Voyez les nouveaux essais de M. Chub.