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l’expérience fournit un épreuve évidente de la liberté, & l’on reconnoîtra bien-tôt qu’ils sont obligés de convenir que notre volonté se détermine en conséquence des jugemens de notre esprit, & que toutes les fois que notre volonté a à choisir entre deux objets dont l’un lui paroît meilleur que l’autre, elle ne sauroit donner la préférence au pire, c’est-à-dire qu’elle ne sauroit choisir le mal comme mal :[1] Or, en faisant ce premier aveu, ils donnent gain de cause à leurs adversaires qui prétendent uniquement que la volonté ou le choix de l’homme est toujours déterminé par ce qui lui semble le meilleur. Je me bornerai à l’exemple de l’illustre docteur Clarke, dont l’autorité est seule capable de balancer celle de tous les autres théologiens réunis ensemble, ce qui me dispensera d’en citer d’autres après lui. Cet auteur[2] avance que la volonté est déterminée par des motifs moraux, & appelle nécessité morale celle qui nous oblige à faire un choix en vertu de ces motifs. Voici comme il s’explique à ce sujet, avec sa candeur & sa précision ordinaires. « Si elle pouvoir d’agir suit nécessairement le jugement de l’entendement, la nécessité, dont il s’agit, ne doit être considérée que comme motif moral, nécessité morale… Un homme (par exemple) ajoute-t-il, qui n’est tourmenté d’aucune douleur corporelle, & dont l’esprit est en bonne assiette, juge qu’il n’est pas raisonnable qu’il se blesse ou qu’il se tue lui-même : à moins que quelque tentation ou quelque violence extérieure ne vienne à la traverse, il n’est pas possible qu’il agisse d’une manière opposée à ce jugement ; non pas manque de pouvoir naturel, mais parce que ce seroit une chose absurde & mauvaise, & qu’il est moralement impossible qu’il prenne ce parti. De là vient que les créatures raisonnables les plus parfaites ne peuvent mal faire. Elles ont toutes les facultés nécessaires pour faire l’action matérielle, mais connoissant parfaitement ce qui est le meilleur, & n’ayant aucune tentation qui les porte au mal, il est moralement impossible qu’elles se déterminent par choix à agir d’une manière déraisonnable & extravagante ».

Or je demande, si ce n’est pas là reconnoître bien positivement l’espèce de nécessité que j’ai cherché à établir dans cet ouvrage. En effet le docteur Clarke assigne-t-il aux actions humaines des principes différens de ceux que je leur ai moi-même assignés[3]. Ne donne-t-il pas autant d’empire, que moi, à la nécessité sur nos volitions, lorsqu’il dit, qu’un homme, déterminé par des causes de cette nature, ne peut agir autrement qu’il ne fait ? lorsqu’il ajoute, qu’un homme, que les circonstances présentes portent à penser qu’il est contre la raison de se nuire à soi-même ou de se détruire, pourvû cependant qu’aucune tentation ou violence extérieure ne vienne à la traverse, qu’un tel homme, dis-je, ne peut agir contre son jugement actuel ?

Quant à ce qu’il avance au sujet de ce pouvoir naturel ou physique d’agir contre son jugement actuel, & de se nuire à soi-même ou de se détruire, qu’il admet dans cet homme, je soutiens que ce pouvoir, de quelque nature qu’il soit, loin d’être incompatible avec la nécessité, en est au contraire une suite infaillible. En effet, si l’homme est nécessairement déterminé par certaines causes morales, & s’il ne peut alors agir


    tion postérieure de l’an 1684, dans un ouvrage intitulé Hobbes’s Tripos, où l’on trouve son livre de la nature humaine, son traité du corps politique, & son traité de la liberté & de la nécessité.

  1. « Nous voulons invinciblement être heureux. Ainsi nous sommes mûs physiquement & même invinciblement vers le bien en général, ou vers le bien qui renferme généralement tous les biens. Je crois que tous les hommes admettent cette prémotion ». Voyez le P. Mallebranche, réflexion sur la prémotion physique, page 2.
  2. Dans son traité de l’existence & des attributs de Dieu, &c. de la traduction de M. Ricotier, chap. 11. prop. 10. pag. 225. & suiv. & les lettres d’un savant de Cambridge à M. Clarke, avec ses réponses dans l’appendice.
  3. A-t-il répondu à ce raisonnement du savant de Cambridge ? « Toutes les fois que, dans quelque cas supposé, il implique contradiction, qu’un être, un mode, ou une action ait été autrement qu’elle n’est ; cet être, ce mode, ou cette action est absolument & proprement parlant nécessaire dans ce cas-là. J’applique ceci à notre question, qui est de savoir si les actions de l’homme sont proprement & à la rigueur, nécessaires. Vous convenez que dans chaque acte de la volonté le dernier jugement de l’entendement est nécessaire ; par conséquent chaque action ou chaque mouvement interne, quelle qu’en puisse être la cause ou le principe, doit être aussi, ce me semble, nécessaire. Car ou cette action suit nécessairement le dernier jugement ou la volition de l’homme, ou bien elle ne le suit pas. Si elle le suit, elle est absolument nécessaire, à parler proprement & à la rigueur ; & si l’on dit qu’elle ne le fait pas, n’y a-t-il pas une contradiction formelle dans les termes ? N’est-ce pas supposer que le même être se meut & ne se meut pas en même-tems ? Si donc l’idée de la liberté est l’idée du pouvoir de se mouvoir soi-même, elle est si peu opposée à la nécessité, qu’elle peut être & qu’elle est même, je crois, nécessaire : & ainsi la nécessité est compatible avec une parfaite liberté, c’est-à-dire, avec le pouvoir de se mouvoir soi-même, & l’être suprême lui-même est nécessaire dans toutes ses actions, à prendre le mot de nécessaire dans un sens propre & naturel… Je prends toujours ici le mot de nécessité pour signifier une nécessité interne qui résulte de la nature même & de la constitution des êtres raisonnables. » Ibid. 2 lettre dans l’ap.