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que ce savant théologien vient de publier, pour défendre la preuve qu’il avoit donnée de l’immatérialité & de l’immortalité naturelles de l’ame. Ces réponses sont de l’auteur même des objections publiées en forme de lettre contre cette preuve qu’il persiste à regarder comme insuffisante & dont il se propose de montrer de nouveau l’insuffisance dans cette réplique au docteur Clarke. Ce sera moins combattre l’immortalité de l’ame que l’établir sur la seule évidence que Dieu a jugé à propos de nous en donner par la révélation. Ce sera de plus présenter au monde savant un nouvel exemple de la liberté dont nous jouissons dans ce pays, d’examiner les principes & les raisons des opinions dominantes. Quand même je ne réussirois pas dans l’exécution de mon dessein, soit par la foiblesse de ma cause, soit par ma propre insuffisance à combattre un adversaire aussi redoutable ; mon erreur seroit toujours de peu de conséquence, puisqu’il ne s’agit ici que d’un objet de pure spéculation. Du reste je suivrai du plus près qu’il me sera possible les raisonnemens de M. Clarke sans y mêler aucune digression étrangère suivant en cela le chemin qu’il m’a lui-même tracé, & qui est la voie la plus courte pour éclaircir & résoudre les questions les plus difficiles.

Commençons par rapporter la preuve que donne M. Clarke de l’immatérialité & de l’immortalité naturelles de l’ame. La voici : » l’ame ne sauroit être matérielle : c’est ce qu’on peut démontrer par la simple considération du sentiment intérieur qu’elle a d’elle-même. Car, la matière étant une substance divisible, composée de parties qui peuvent toujours être séparées les unes des autres ou qui même sont actuellement séparées ou distinctes, il est évident qu’un systême de matière quelconque, dans quelque composition ou division que ce soit ne peut être une substance individuelle, ayant le sentiment intérieur de son individualité. Elle ne pourroit avoir ce sentiment intérieur à moins qu’il ne lui fût essentiel, & s’il lui étoit essentiel, chaque particule de matière seroit le résultat d’une multitude innombrable de sentimens intérieurs séparés & distincts. Supposons deux ou trois cens parties de matière, éloignées les unes des autres d’un mille, ou de toute autre distance quelconque : est-il possible que ces parties ainsi séparées forment une substance individuelle qui ait le sentiment intérieur de son individualité ? Rapprochons ces parties jusqu’à se toucher, de sorte qu’elle soient réunies en un systême ou corps ; donnons-leur encore du mouvement : en seront-elles moins reellement distinctes dans cet état d’aggrégation & d’agitation, que lorsqu’elles étoient plus éloignées les unes des autres ? Comment donc leur réunion, ou leur mouvement, pourroit-il en faire un être individuel sentant intérieurement son individualité ? Faites intervenir, si voulez, la puissance infinie de Dieu. Supposez qu’il ajoute le sentiment intérieur à cette masse composée de l’assemblage de plusieurs parties : comme chacune de ces parties est un être distinct leur collection ne pourra pas encore être le sujet d’inhérence d’une telle faculté. Car ce n’est point un seul sujet ; ce sont plusieurs sujets. Il n’y auroit donc pas un seul sentiment intérieur mais autant de sentimens intérieurs que de parties, & dès-lors point d’individualité. Si donc Dieu ajoute le sentiment intérieur d’individualité à un systême quelconque de matière, ce ne peut être qu’en lui unissant une autre substance individuelle. Donc l’ame principe pensant qui a le sentiment intérieur de son individualité ne peut pas être une substance matérielle. »

À ce raisonnement j’ai opposé plusieurs objections que je vais répéter & défendre dans le même ordre que M. Clarke a suivi en les réfutant. Voici ma première objection.

» I. Supposons, avec le docteur Clarke, qu’une substance matérielle, dans quelque état qu’elle soit, n’est point un être individuel. Je ne vois pas encore qu’un systême de matière, composé de parties actuellement séparées & distinctes, soit incapable de recevoir une faculté individuelle, telle que la faculté de penser. Je ne vois pas qu’il faille absolument & nécessairement que le sujet d’une faculté individuelle soit lui-même un être individuel. Si la nature nous offre des êtres qui ne sont rien moins qu’individuels, & qui néanmoins possedent des facultés individuelles, soit comme un présent de Dieu, soit comme une appartenance d’un tel systême de matière, composé de parties actuellement séparées & distinctes, que devient l’argument du docteur Clarke ? Il tombe sans force. Cependant c’est un fait, ou plutôt une multitude de faits. Il suffit d’avoir des yeux pour appercevoir de tous côtés des systêmes de matière revêtus de certaines facultés qui ne résident ni dans chacune ni dans aucune des parties qui les composent considérées en particulier, & sans rapport au tout. Considérons une rose. Elle est composée de plusieurs parties dont chacune prise séparement n’a point la faculté de produire cette sensation agréable qu’elle cause lorsqu’elles sont unies ensemble. Il faut donc que dans un tel systême chaque partie contribue à la puissance individuelle qui est la cause externe de la sensation, ou que Dieu dont le pouvoir est infini, donne à cet aggrégat matériel la propriété de produire dans nous cette sensation. Voilà, selon