démontrer ce dernier point, il faut faire voir qu’il y a une connexion nécessaire entre être immatériel & penser. Cependant nous avons bien des raisons de croire que la pensée est une action qui ne commence qu’un certain tems après l’exigence de son sujet d’inhérence & qu’elle peut périr ou cesser, sans que son sujet cesse d’être. Ainsi l’on ne prouve pas mieux l’immortalité naturelle de l’ame par son immatérialité qu’on ne prouve l’immortalité naturelle des corps humains qui sont dans le tombeau en faisant voir que la matière ne peut périr que par l’anéantissement. Dans ce dernier cas, nous n’avons point de preuves qui nous forcent à croire que les parties du corps doivent nécessairement continuer d’exister ensemble ; dans l’autre cas nous manquons aussi de preuves suffisantes pour faire voir que la pensée soit une propriété inséparable de l’être immatériel. Quel avantage la morale & la religion peuvent-elles donc tirer de tous les raisonnemens que l’on fait sur cette matière ? Si nous n’avons pas d’autre assurance d’une vie future ou autrement d’un état futur de perception après cette vie, que celle qu’on peut tirer de la prétendue démonstration de l’immortalité naturelle de l’ame, nous n’en avons aucune. Si elle est nulle, quelle influence peut-elle avoir sur nos mœurs & nos actions dans l’économie présente ?
V. Supposons enfin que la faculté de penser, ou le sentiment intérieur individuel prouve l’immatérialité de l’ame & que l’immatérialité de l’ame prouve son immortalité naturelle ; voyons à quelle conséquence nous conduisent ces suppositions. Elles élevent toutes les créatures sensibles de cet univers à la condition & à la destination de l’homme, en le rendant capable comme lui d’une éternité de bonheur. Pour éluder cette conclusion, on est contraint d’admettre l’une de ces deux propositions :
1.° Ou que toutes ces créatures sensibles ne sont que de pures machines ;
2.° Ou que leurs ames seront anéanties à la dissolution de leurs corps.
Ces deux systêmes sont aussi mal conçus l’un que l’autre. Quant au premier, l’expérience démontre que les bêtes perçoivent, pensent, &c. comme les hommes. Nous les voyons éviter la peine & chercher le plaisir. Nous sommes témoins des marques non équivoques qu’elles donnent de la douleur qu’elles ressentent ou de la satisfaction qu’elles goûtent. Elles agissent en cela à la manière des hommes. Elles évitent la douleur & recherchent le plaisir, par les mêmes motifs qui portent les hommes à en faire autant ; en réfléchissant sur leurs actions passées, sur celles de leurs semblables, & sur les suites des unes & des autres, elles apprennent à faire un choix entre les objets qui se présentent. Aussi nous voyons celles qui ont le plus d’expérience, agir plus conformément à leurs intérêts. Si pourtant les brutes sont de pures machines comment prouvera-t-on que les hommes ont une ame immatérielle ? Si les opérations des bêtes ne suffisent pas pour les distinguer d’une montre, je crains bien que nous ne soyons aussi des machines un peu plus parfaites.
À l’égard de l’autre alternative qui consiste à soutenir que les ames des brutes seront anéanties à la mort de leurs corps : elle est directement contraire à la preuve de l’immortalité naturelle de nos ames tirées de son immatérialité. Elle lui ôte toute sa force, car alors cette Immortalité supposée naturelle ne nous garantit pas de l’anéantissement.
Je n’ai plus qu’un mot à ajouter. La raison ne démontre ni l’immatérialité ni l’immortalité de l’ame ; mais l’une & l’autre se démontrent par l’Évangile de Jésus-Christ. Je doute comme philosophe, & je crois comme chrétien. Que ceux donc qui pourroient s’offenser de la liberté que j’ai prise, considerent qu’il y a autant de religion à réfuter un argument en faveur de l’immortalité de l’ame lorsqu’on le croit mauvais & dangereux, qu’il y en a à le soutenir lorsqu’on le croit bon & utile. Deux hommes peuvent être animés du même zèle & tendre à la même fin en prenant une voie différente. Que dans la question présente, l’un des deux, savoir du docteur Clarke ou de moi, se trompe, cette erreur ne tombera que sur la nature d’un argument. Nous devons donc nous abstenir de tout soupçon désavantageux. Ce n’est pas s’en abstenir que de dire qu’on s’en abstient : car cette réticence est déjà une commencement de soupçon. Il faut s’en abstenir, sans le dire.
Il est si important pour connoître la nature de l’ame, de savoir si la matière peut penser, & M. Clarke soutient avec tant d’habilité l’opinion qu’il a embrassé sur ce point, que je crois faire plaisir au lecteur impartial de lui offrir un essai de réponse aux nouveaux argumens