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cation ne cesse-t-elle pas entièrement dès que la moindre partie de cet organe délicat est altérée & viciée ? Cette opération enfin n’est-elle pas le propre du systême entier de l’œil ? Ne diffère-t-elle pas de l’action particulière de chacune de ses parties considérées séparément, & même de l’action du systême total différemment modifié ? Or c’est cette façon d’agir particulière à la structure de l’œil, que j’appelle la propriété de l’œil, qui certainement n’est pas inhérente dans les diverses parties de l’œil de la même manière que dans le tout ensemble, & dont l’idée ne renferme pas un effet produit dans une autre substance, tel que la vision actuelle dans l’ame, mais une modification du sujet même ou de l’organe de la vision. Je le suppose de même. Ainsi la pensée ne me paroît pas être seulement un effet produit dans une autre substance, tel que les idées ou images des choses, mais plutôt quelque chose de semblable à l’action du cerveau, ou des esprits du cerveau sur les idées & les images des choses. Si donc la propriété qu’a l’œil de contribuer à la vision est un mode, un mouvement particulier de ce systême de matière, ce mouvement doit être réputé véritablement inhérent au sujet qu’il affecte : donc la propriété qu’a l’œil de contribuer à la vision n’est ni un effet produit dans une autre substance, ni un effet qui ne réside dans aucun sujet.

On peut objecter à cet exemple, ainsi qu’aux autres que j’ai allégués, que la propriété de contribuer à la vision attribuée à l’œil, & celle qu’a un instrument de musique de produire des sons harmonieux, n’étant rien autre chose qu’une espèce particulière de mouvement que ces systêmes de matière sont capables de recevoir en vertu d’une certaine disposition de leurs parties analogues à l’action des autres sur eux ; que la rondeur & la quadrature n’étant aussi que des modes de la figure ; la propriété de l’œil, celle de l’instrument de musique, & les qualités du corps rond & du corps quarré, sont uniquement des sommes des mouvemens & des figures des parties, c’est-à-dire des sommes de propriétés & de qualités de même espèce ; conséquemment qu’elles rentrent dans la première classe des propriétés de la matière, que M. Clarke a mise à la tête de sa distribution, qu’ainsi elles ne prouvent point qu’il existe dans aucun systême de matière des propriétés ou qualités qui ne soient point inhérentes à chacune des parties de ce systême considérée séparément du tout.

Voilà, je crois, tout ce qu’on peut dire de plus fort contre moi, & contre les exemples allégués. L’éclaircissement de ce point répandra un nouveau jour sur la question qui nous occupe, & satisfera peut être M. Clarke, en faisant voir le vice essentiel de son argument, & ce qui l’a induit en erreur.

Puisque j’ai entrepris de prouver, par le seul fait, qu’il y a des propriétés individuelles inhérentes dans certains systêmes de matière, & qui n’appartiennent point de la même manière aux parties de ces systêmes prises séparément, je suis obligé ou de rendre plus sensibles les exemples que j’ai donnés, ou d’en apporter d’autres plus décisifs. Autrement je paroîtrois m’être trop avancé, & convenir tacitement que la matière n’a point de propriétés connues qui ne soient des sommes d’autres propriétés de même espèce. Mes exemples me paroissent justes et pertinens ; & pour faire voir qu’ils le sont, je distingue des propriétés numériques & des propriétés génériques. Par propriétés numériques, j’entends des propriétés telles que des figures & des mouvemens de même espèce. La propriété de contribuer à la vision accordée à l’œil, est une espèce de mouvement, la rondeur est une espèce de figure. Par propriétés génériques, j’entends toutes les espèces particulières des propriétés numériques ; ainsi le mouvement est une propriété générique qui désigne toutes les différentes espèces de mouvemens, comme la figure désigne toutes les espèces de figures. Que le lecteur applique cette distinction très-simple, à l’objection que je viens de me faire, & il concevra d’abord qu’elle est fondée sur une équivoque qu’il est aisé de faire disparoître. L’équivoque est dans ces termes propriétés semblables, ou propriétés de même espèce. Si l’on entend par-là des propriétés génériquement semblables, je conviens que la matière n’a point de propriétés connues qui ne soient des sommes d’autres propriétés de la même sorte. Si l’on entend des propriétés numériquement semblables, c’est-à-dire des propriétés qui existent réellement de la même manière de part & d’autre, dans le tout & dans chacune de ses parties, je prétends que certains systêmes de matière ont des propriétés qui ne sont point des sommes d’autres propriétés semblables. La rondeur d’un corps n’est point la somme des rondeurs des parties : la propriété de rendre des sons harmonieux, n’est point dans un instrument de musique, la somme d’autres propriétés de même espèce inhérentes à ses différentes parties considérées séparément.

J’applique la même distinction au sentiment intérieur ou à la faculté de penser ; & pour me rendre plus intelligible, je suppose que le sentiment intérieur, dont nous sommes censés ignorer la nature, est une modification de mouvement, & non pas un mode de quelque propriété inconnue ; & je fais d’autant plus librement cette supposition que je parle à un savant trop au fait des règles de la logique pour regarder comme mon sentiment ce qui n’est qu’un supposé de ma part. Considérons donc le sentiment intérieur sous l’idée d’une modification de mouvement, comme la rondeur est une modification de figure. Dans cette hypothèse, il s’en faut bien que si le sen-