contribuer à la formation d’un pied ou d’un œil, & composer ainsi la substance de l’animal. Dans l’état présent de l’univers, la matière ne doit point être comparée à un chaos ; j’accorde qu’un ouvrage régulier ne peut pas être le produit du pur méchanisme, & que la puissance de Dieu a tout arrangé dans un état de regularité. Comme il ne répugne pas que le corps organisé d’un animal ait été formé au commencement par un mouvement régulier de la matière, & que d’autres parties de matière mues reguliérement se soient unies & assimilées à ce corps, il ne répugne pas plus que la formation du corps organisé de l’animal commence aujourd’hui dans l’œuf où il y a de la matière propre à y contribuer, qu’il ne répugne qu’elle se soit faite il y a mille ans hors de l’œuf, d’autant plus qu’il est sûr que le fœtus augmente à chaque instant dans l’œuf par les nouvelles parties de matière qu’il approprie à sa substance.
M. Clarke ajoute : « il est impossible que le mouvement donne aux parties de cette matière une disposition, une texture particulière qui la rende capable de sensation. Car c’est vouloir tirer d’une chose ce qui n’y est pas, ce qui n’y a jamais été ». Je suppose la sensation dans toutes les parties de l’animal, comme la rondeur est sur toute la surface du corps rond. Chaque partie du corps animal participe à la sensation, comme chaque partie du corps rond participe à la rondeur ; & lorsque toutes les parties du corps animal ont une disposition convenable, la pensée a lieu, comme la rondeur existe par l’assemblage des parties du corps rond.
Supposons que la sensation n’existe pas dans les parties avant leur union, de même qu’il n’y a point de mouvement dans des parties de matière qui sont en repos. La sensation actuelle ne peut-elle pas avoir lieu en vertu de la capacité de sentir antérieurement inhérente aux diverses parties du corps animal, & excitée par leur réunion en un seul systême, quoiqu’elles ne sentent pas toujours ; de même que la matière peut passer du repos au mouvement en vertu de la capacité qu’elle a de se mouvoir, quoiqu’elle ne soit pas toujours dans un mouvement actuel.
Il est vrai ; je crois qu’il est absurde de recourir à une ame immatérielle & immortelle pour faire sentir les animaux ; & j’en ai dit la raison. C’est que je ne puis me persuader qu’il y ait un état futur & éternel de récompenses & de peines réservé non seulement aux gros animaux, quadrupèdes, reptiles & volatiles, mais aussi au nombre infini de créatures sensibles découvertes par les observations microscopiques dans toutes les parties de l’univers, dans nos propres corps & dans les liqueurs que nous buvons.
« À la bonne heure, poursuit M. Clarke. (C’est-à-dire, qu’il y ait du ridicule à recourir à une ame immatérielle & immortelle pour faire sentir les animaux.) » Je puis aisément supposer, puisqu’il vous faut des hypothèses, que cette ame immatérielle & immortelle qui sent dans le poulet, n’est point une addition postérieure à sa formation, qu’elle existoit dans le germe ou le principe séminal dès le commencement de son organisation. » Je rejette tout ce qui n’est que pure hypothèse ; & j’en combats une de cette espèce dans l’endroit même où M. Clarke parle de mon prétendu goût pour les hypothèses. Il est vrai que je ne fais pas une mention expresse de celle que M. Clarke a la bonté de mettre sur mon compte ; je suis pourtant aussi sûr qu’elle se trouve réfutée par mon sentiment qui n’admet que de la matière dans l’animal, que si j’en avois directement parlé. Je suis donc étonné que notre docteur s’imagine qu’une de ces hypothèses soit plus capable de me contenter qu’aucune autre, & que j’aie du goût pour les hypothèses. Les faits seuls peuvent me satisfaire. Je crois ce que je vois, jusqu’à ce qu’une nouvelle observation me prouve par des faits mieux vus & mieux constatés, que les premières apparences étoient fausses : alors je reforme mon sentiment sur la seconde vue. La micrographie & l’astronomie nous servent à établir des faits importans sur lesquels il nous seroit aisé de nous tromper sans leur secours & leurs instrumens. Quant aux suppositions que l’on fait pour rendre raison des faits & des phénomènes apperçus, je les nie toutes, à moins que je ne voye une nécessité absolue de les admettre, c’est-à-dire à moins qu’il n’y ait une contradiction manifeste à ne pas les admettre. Je permets à M. Clarke d’admettre un ou vingt êtres inconnus dans le corps d’un animal, car il y a de la contradiction à en admettre un comme vingt. Il me permettra aussi de m’en tenir au témoignage de mes yeux, sans aller au-delà, & de ne reconnoître, dans les animaux, que de la matière, puisque je n’y vois que de la matière.
5o. Voici un autre objet qu’il est à propos de discuter. M. Clarke avoit dit : « La pesanteur est l’effet de l’action continue & régulière de quelque autre être sur la matière. »… « Il ne pense donc pas, ai-je répondu, que la matière pese ou gravite en vertu d’une propriété dont Dieu l’ait douée dès le commencement & aux loix de laquelle il la livre à-présent. Cependant il n’est pas plus inconcevable que la matière se meuve ou agisse en vertu d’une propriété originelle, qu’il ne l’est qu’elle ait été mise en mouvement par un être immatériel, & qu’elle y persévère. »
M. Clarke trouve dans cette réponse, une mé-