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prise impardonnable dans un philosophe. « Car, dit-il, lorsqu’une pierre en repos, perdant tout-à-coup son appui, commence à tomber, qu’est-ce qui produit en elle ce mouvement ou cette chûte ? Est-il possible que ce soit un effet sans cause ? Une action ou impulsion sans agent ? Ou une simple loi ou propriété (c’est-à-dire un nom abstrait, une notion complexe, & non pas un être réel) peut-elle pousser cette pierre & la faire se mouvoir ?

La question n’est pas de savoir si quelque être réel meut une pierre qui étoit en repos, lorsque perdant son appui elle commence à tomber : mais si un autre être, ou un être distinct de la matière, la pousse continuellement, soit immédiatement ou médiatement : car je ne nie pas qu’il ne faille qu’un être en pousse un autre pour produire l’espèce de mouvement appellé pesanteur. M. Clarke change donc l’état de la question, lorsqu’il dit qu’il faut nécessairement qu’un être réel pousse la pierre qui tombe lorsqu’elle a perdu son appui, au lieu de prouver que la pesanteur est un effet de l’action continue & régulière d’un autre être sur la matière. Il pouvoit se dispenser de demander ce qui produit la chûte ou le mouvement de cette pierre, si c’est un effet sans cause, une action ou impulsion sans agent, si une simple loi ou propriété (c’est-à-dire un nom abstrait, une notion complexe, & non pas un être réel) peut pousser cette pierre & la faire se mouvoir. Toutes ces demandes ne font rien à la question présente qui consiste à savoir si l’espèce de mouvement appellé gravitation est nécessairement l’effet de l’action continue & régulière d’un être immatériel sur la matière.

Comme je ne nie pas que l’impulsion des corps contigus au corps qui gravite, n’entre pour quelque chose dans la cause de sa gravitation, & que je n’en exclus que l’action continue & régulière d’un être immatériel sur ce corps, je ne pense pas aussi que l’impulsion des corps qui l’environnent suffise pour produire cet effet. Et pour dire ouvertement ma pensée, je mets en fait que la figure extérieure & la texture interne des parties de la matière, sont dans les corps les dispositions qui les rendent propres à recevoir des autres corps environnans l’impulsion ou l’espèce de mouvement appellé pesanteur. Jettez du haut d’une tour une livre de plomb en forme de boule, elle tombera très-rapidement. Changez-en la figure externe, frappez cette boule avec un marteau, aplatissez-la, elle tombera moins vite. Variez-en le tissu, en la faisant fondre au feu, ses particules devenues subtiles s’élèveront au lieu de descendre. L’action des corps contigus produit ces trois différens effets, par la seule disposition différente des parties de la même quantité de plomb. Cette détermination de la matière paroît donc être due entièrement aux causes & aux propriétés que j’ai assignées. J’ai souvent admiré que la pesanteur fut regardée parmi les philosophes comme un objet d’une très-grande difficulté. Dès que l’on estime le mouvement inhérent dans la matière, & qu’on en suppose toutes les parties perpétuellement agitées & agissant continuellement les unes contre les autres, comme personne, je crois, ne le révoque en doute, une partie doit avoir telle direction, une autre partie une autre direction ; & la pesanteur n’étant qu’une détermination ou direction particulière du mouvement, une tendance vers un centre, soit le centre du tourbillon entier, ou seulement celui de notre terre, ou le centre particulier de la sphère d’activité d’un mouvement quelconque ; il est absolument nécessaire, que certaines parties de la matière gravitent, & que d’autres parties ayent d’autres mouvemens. Je dis plus : il n’y a point de mouvement qui, à proprement parler, ne soit une pesanteur respective. Car ce qui monte par rapport à nous, descend à l’égard d’autres corps ; comme ce qui descend relativement à nous, monte par rapport à d’autres corps. Si donc il y a du mouvement dans l’univers, il doit y avoir de la pesanteur.

Lors donc que je prétends que la matière pese ou gravite en vertu d’une propriété dont Dieu l’a douée originairement & aux loix de laquelle il la livre à présent, & qu’il est aussi aisé de concevoir que la matière se meuve & agisse par une propriété originelle, qu’il l’est qu’elle ait été mise en mouvement par un être immatériel, & qu’elle y persévère ; je ne dis pas pour cela qu’un corps agisse actuellement sans l’impulsion ou l’action directe d’un autre corps : je veux dire seulement qu’il est aussi aisé de comprendre que la matière puisse agir, sans impulsion, en vertu des propriétés dont Dieu l’a douée au commencement, que de concevoir qu’un être immatériel l’ait mise en mouvement sans pouvoir la toucher. Quand M. Clarke m’expliquera clairement comment un être immatériel peut mouvoir la matière, ou dans quel point de l’univers il conçoit que Dieu commence le mouvement de pesanteur ou de légèreté, lorsqu’il n’y a réellement ni haut ni bas dans l’univers ; (car dire que Dieu agit respectivement, ce seroit rendre ma demande encore plus juste & plus légitime, puisqu’alors Dieu se trouveroit nécessairement placé vis-à-vis d’un centre assignable ; je ( lui promets de lui expliquer comment la matière peut se mouvoir en vertu des propriétés dont Dieu l’a douée, sans l’impulsion d’autres corps, même en vertu de ce que M. Clarke appelle un nom abstrait, une notion complexe.

Enfin quand je penserois que la matière agit en vertu des propriétés dont Dieu l’a douée, sans l’impulsion de la matière, M. Clarke ne pour-