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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/227

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difficultés auxquelles on ne sauroit répondre d’une manière satisfaisante ».

Je réponds que, s’il y a des démonstrations, même géométriques, dont il suive nécessairement des absurdités & des contradictions suivant notre façon de concevoir les choses, ces absurdités & ces contradictions affoibliront assez la démonstration à mon jugement pour me faire suspendre mon assentiment. Pour juger d’une proposition, nous n’avons d’autre moyen que la perception de la convenance ou de la disconvenance des idées énoncées par les termes de cette proposition. Si donc les objets prennent une telle apparence aux yeux de notre entendement, que nous percevions ou que nous nous imaginions percevoir à priori une preuve démonstrative de la vérité d’une proposition, & que d’un autre côté nous percevions ou croyions percevoir qu’il suive nécessairement des absurdités & des contradictions de cette proposition prétenduement démontrée, qu’en résulte-t-il ? Deux démonstrations d’un poids égal qui se réfutent l’une & l’autre & qui tiennent l’esprit en suspens. D’une part, je ne puis pas supposer que mon esprit me trompe. De l’autre, je n’ai pas lieu de soupçonner que ma raison m’égare. Je perçois donc ou je m’imagine percevoir une convenance & une disconvenance démontrées entre les idées ou les termes d’une telle proposition. Le doute est le résultat de cette égalité.

3o. Mais je nie qu’il y ait des vérités de cette espèce dans la nature, des vérités démontrées & sujettes à des absurdités & des contradictions pareillement démontrées. Je nie en particulier que la divisibilité de la matière à l’infini, l’éternité & l’immensité de Dieu soient des exemples de cette espèce. Je prie donc M. Clarke de me bien définir ces termes, de me dire clairement ce qu’ils signifient dans son entendement ; & si, au lieu de prendre des notions arbitraires pour des êtres réels, ce qu’il entend par ces termes s’accorde avec la réalité des choses, je lui demande de me faire voir l’absurdité ou la contradiction qui suit évidemment, selon lui, de la divisibilité de la matière à l’infini, de l’éternité & de l’immensité de Dieu, suivant notre façon de concevoir. S’il ne peut pas me satisfaire, il n’a pas droit de réduire l’esprit humain au doute & au scepticisme sur ces articles.

4o. Pour prouver qu’un être immatériel peut être indivisible quoiqu’étendu, M. Clarke allègue l’exemple de l’espace. Je conviens que l’espace qui, selon lui-même, n’est qu’une idée abstraite de l’immensité, est indivisible. Mais qu’est-ce que l’indivisibilité de l’espace fait à la question présente ? L’espace est infini, & il s’agit d’une substance étendue finie. L’espace n’est pas seulement infini, il est encore incapable d’être considéré comme un agent ou comme le sujet d’une action, en un mot ce n’est ni un être ni une substance. Son indivisibilité ne prouve donc rien en faveur d’une substance étendue finie. Elle prouve contre, puisque l’espace n’est indivisible qu’à cause de deux qualités qui le rendent essentiellement différent d’un être étendu fini.

5o. M. Clarke insiste sur une autre raison de la différence qu’il veut établir entre la substance immatérielle & la substance matérielle à l’égard de la divisibilité. « On ne peut pas supposer la substance immatérielle divisée par « Dieu même en plusieurs parties, quoiqu’on puisse supposer la substance matérielle ainsi divisée, parce que la première supposition détruiroit l’essence de la substance immatérielle ».

M. Clarke admet toujours pour un principe, ce qui n’est que supposé ou par lui ou par d’autres. Que tous les philosophes conviennent que toute matière est divisible, que M. Clarke nie tant qu’il voudra que la substance immatérielle soit divisible ; cela ne prouve pas qu’il y ait une différence réelle entre l’être matériel & l’être immatériel étendu par rapport à la divisibilité. Affirmer & nier ne sont pas démontrer. La divisibilité de la substance matérielle ne dépend pas de l’aveu des philosophes ; & pour montrer que la substance immatérielle est indivisible quoique étendue, il ne suffit pas de le dire. S’il ne falloit que supposer pour démontrer, il me seroit facile de rétorquer l’argument de M. Clarke, & de dire : Je reconnois que la substance immatérielle est divisible, mais je nie que l’on puisse supposer la substance matérielle pensante divisée en plusieurs parties, parce que cette supposition détruiroit la substance même. En effet j’ai tout autant de raison de supposer qu’un être matériel, tel qu’un atôme, ne peut être divisé par aucune force naturelle, qu’en a M. Clarke de supposer l’indivisibilité de l’être immatériel étendu. C’est-à-dire que la supposition est également précaire de part et d’autre.

Cependant mon savant adversaire a tort de dire qu’on reconnoit que toute matière est divisible. Loin d’avoir fait un pareil aveu, j’ai dit expressément dans ma réplique, qu’il n’étoit pas possible de prouver la divisibilité d’un atôme par aucun argument qui ne prouvât également la divisibilité d’un être immatériel étendu ; & conséquemment que si les raisons alléguées sont insuffisantes pour prouver la divisibilité d’un être immatériel, elles ne prouvent pas non plus la divisibilité de toute substance matérielle. Loin donc de convenir que toute matière soit divisible, tant que M. Clarke soutiendra l’indivisibilité d’une substance immatérielle étendue & finie, je soutiendrai par les mêmes raisons l’indivisibilité des atômes de la matière.