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III. J’ai prouvé par deux raisons principales que l’immatérialité de l’ame supposée démontrée n’est d’aucun avantage pour remplir les fins & les grandes vues de la religion. « Car, ai-je dit, pour démontrer l’immortalité naturelle de l’ame, il faut prouver qu’un principe immatériel pensant est naturellement immortel ; & pour démontrer ce dernier point, il faut faire voir qu’il y a une connexion nécessaire entre être immatériel & penser. Cependant nous avons bien des raisons de croire que la pensée est une action qui ne commence qu’un certain tems après l’existence de son sujet d’inhérence, & qu’elle peut périr ou cesser, sans que son sujet cesse d’être…… Quel avantage la morale & la religion peuvent-elles donc tirer de tous les raisonnemens que l’on fait sur cette matière ? Si nous n’avons pas d’autre assurance d’une vie future, ou autrement d’un état futur de perception après cette vie, que celle qu’on peut tirer de la prétendue démonstration de l’immortalité naturelle de l’ame, nous n’en avons aucune. Si elle est nulle, quelle influence peut-elle avoir sur nos mœurs & nos actions dans l’économie présente ? »

Pour répondre à ce passage, il y avoit deux partis à prendre. Ou il falloit prouver une connexion nécessaire entre être immatériel & penser, c’est-à-dire prouver que l’ame ou la substance immatérielle est & sera toujours dans un état actuel de perception. Ou bien il falloit montrer que, quand même on ne prouveroit pas que l’ame dût toujours être dans un état actuel de perception, il suffisoit qu’elle fût immatérielle pour répondre aux grandes vues de la religion.

Pour moi, qui suis d’avis qu’un être immatériel peut cesser de penser & d’agir, j’ai observé, dans ma réplique, que l’ame pouvoit non-seulement avoir différentes passions en différens tems, comme de chagrin, d’amour, &c. qui sont des modifications passagères de sa substance, lesquelles commencent & finissent ; mais qu’elle avoit encore des qualités & propriétés, comme les facultés de voir & d’entendre, qu’elle pouvoit perdre pour un tems ou pour toujours, par le vice des organes qui leur sont propres. J’ai aussi parlé du mouvement de l’ame d’un lieu à un autre qui doit être attribué entièrement aux causes extérieures & matérielles.

Qu’est-ce qu’a répondu M. Clarke pour faire voir l’utilité de son argument par rapport aux grandes vues de la religion ? Il a changé les termes de la question, & le sens de ces termes. Car au lieu de considérer la pensée comme un acte, il ne l’a plus regardée que comme la simple capacité de penser ; & dans la seconde défense, il a mis la mobilité à la place du mouvement. Les facultés de voir & d’entendre par lesquelles j’avois prouvé contre lui que la substance immatérielle pouvoit cesser de penser, ont été transformées en une simple capacité de voir & d’entendre. Ainsi le but & l’effet de mon raisonnement ont été détruits, l’état de la question a été altéré, & le lecteur trompé. M. Clarke lui-même qui s’étoit si fort récrié sur l’extrême délicatesse de ma distinction, la trouve aujourd’hui fort convenable à ses desseins. En conséquence il distingue la pensée actuelle de la faculté de penser, le mouvement actuel de la mobilité, &c. Cependant je ne lui en ferois pas un crime, s’il n’avoit embrouillé la matière & tendu un piège au lecteur en introduisant une nouvelle question, savoir si l’ame est toujours capable de penser, qui n’a point de rapport essentiel avec la question présente. Qu’importe aux mœurs & à la religion que l’ame ne puisse pas exister sans la capacité de penser, si elle peut exister sans la perception actuelle, & devenir par-là aussi incapable de récompense & de châtiment qu’un aveugle-né est incapable de voir les couleurs, ou un mort d’entendre des sons ?

Ce qui suit étant fondé sur cette substitution de termes, & cette altération de la question, il est inutile d’y répondre.

IV. Ma dernière objection étoit conçue en ces termes : « Si la faculté de penser prouve l’immatérialité de l’ame humaine, & si de son immatérialité, on peut inférer son immortalité naturelle, & conséquemment qu’elle est capable d’un bonheur éternel ; la faculté de penser qu’on ne peut refuser aux bêtes prouve l’immatérialité de leur ame ; & l’immatérialité de l’ame des bêtes prouve qu’elle est naturellement immortelle & conséquemment capable d’un bonheur éternel ».

» Mais, répond M. Clarke, Dieu ne peut-il pas, s’il lui plaît, faire périr les ames des bêtes à la dissolution de leurs corps, ou les anéantir dans un tems ou dans un autre » ?

J’avois prévu cette réponse, & je suis étonné que M. Clarke l’ait répétée après l’usage que j’en avois fait contre lui. Seroit-il possible qu’il n’eût pas lu les derniers mots de ma réplique, ou qu’il n’eût pas senti combien ce qu’il allègue pour sa défense est à son désavantage ? Puisqu’il le veut, je répéterai la fin de mon objection : j’espère qu’il comprendra enfin combien sa réponse est vaine & illusoire. Car » si l’ame des bêtes peut être anéantie dans un tems ou dans un autre, la nôtre peut l’être aussi, & dès lors l’argument tiré de l’immatérialité de l’ame humaine ne prouvera point qu’elle doive être immortelle, ni qu’elle le sera ».

M. Clarke fait aussi une autre réponse. « Dieu, dit-il, ne peut-il pas faire passer les brutes dans