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composée que la couleur verte. Car les mouvemens particuliers de chaque pièce d’une montre, qui forment son mouvement total, dont l’un est perpendiculaire, l’autre circulaire, l’autre oscillatoire, &c. sont d’une espèce aussi différente que le bleu & le jaune. J’avoue donc que je ne comprends pas bien quel sens M. Clarke attache aux mots simple & composé dans ces deux propositions.

Sixième proposition.

« Toute qualité réelle, simple ou composée, qui résulte d’un systême total de matière, mais qui ne réside point en lui, c’est-à-dire qui ne réside ni dans toutes ses parties distinctes, ni dans toutes les parties d’une certaine de ce systême, suivant l’explication des deux propositions précédentes, n’est point une modification de cette substance, mais de quelque autre substance ».

J’accorde cette proposition, à condition néanmoins que l’on mette un autre sujet au lieu d’une autre substance. Je conviens, par exemple, que la douceur ne réside point dans une canne à sucre, c’est-à-dire ni dans toutes ses parties distinctes, ni dans toutes les parties de quelque portion de la canne à sucre ; mais elle est produite dans un autre sujet, & non dans une autre substance, comme les autres sensations ou modes de la pensée, dont je prétends que le sujet est matériel.

Septième proposition.

« Toute faculté, simple ou composée, qui résulte d’un systême total matériel, mais qui ne réside point en lui, c’est-à-dire dans toutes ses parties distinctes, suivant la manière dont je viens de l’expliquer, & qui ne réside point aussi dans aucune autre substance comme dans son sujet d’inhérence, n’est point une qualité réelle ; mais ce doit être ou une substance réelle, ce qui ne paroît pas concevable, ou un nom abstrait, comme sont tous les universaux ».

Huitième proposition.

« Le sentiment intérieur n’est ni un nom abstrait comme les facultés dont il vient d’être parlé dans la proposition précédente, ni une faculté de produire ou d’occasionner différentes modalités dans un être étranger, comme les qualités sensibles des corps mentionnés dans la sixième proposition, mais une qualité réelle, véritablement & proprement inhérente dans son sujet, qui est la substance pensante ».

Avant de répondre directement à cette proposition, il est à propos d’éclaircir avec précision ce qu’elle a d’obscur & d’embarrassé. M. Clarke confond deux choses qu’il est essentiel de distinguer, savoir la faculté de produire des modes dans un sujet étranger, & ces modes-là même. Ainsi il dit que les qualités sensibles des corps sont des propriétés qu’ils ont d’exciter des modes dans un autre sujet, au lieu que la douceur, le son, &c. que l’on appelle vulgairement les qualités sensibles des corps, ne sont que des idées, des sensations ou des modes de pensée dans nous, & n’existent en aucune manière dans les corps dont on dit qu’ils sont des qualités sensibles. Les propriétés réelles des corps sont donc bien différentes de ces qualités, aussi différentes que la cause l’est de son effet ; & pour procéder avec plus de clarté, je supposerai que la faculté d’exciter des modes dans un sujet étranger est une espèce particulière du mouvement dans quelques systêmes de matière.

Après cette distinction nécessaire, je vais répondre directement à la proposition de M. Clarke dans les deux sens dont elle est susceptible.

1o. Je conviens que le sentiment intérieur n’est point un nom abstrait, de l’espèce des qualités dont il est parlé dans la septième proposition, qu’il n’existe point dans le cerveau, comme l’odeur est supposée exister dans la rose, & comme on suppose que toutes les qualités sensibles existent dans les corps ; mais qu’elle une qualité réelle, véritablement & proprement inhérente dans son sujet, qui est le cerveau, comme le mouvement réside dans les corps mus, & la rondeur dans les corps ronds.

2o. Je conviens encore que le sentiment intérieur n’est point une pure abstraction, mais une propriété du cerveau qui répond aux facultés des corps par lesquelles ils produisent en nous certaines sensations. Car comme ces facultés, ou ces espèces de mouvement sont particulières à certains systêmes de matière, & qu’ils ne sont point des sommes d’autres facultés partielles numériquement semblables, & comme ces systêmes de matière produisent dans nous certaines idées par une espèce particulière de mouvement, nous pouvons de même, en vertu de la faculté de penser dont nous sommes doués, étendre ou abstraire nos idées, c’est-à-dire les modifier, y produire du changement, ainsi que les objets extérieurs sensibles peuvent occasionner en nous des modes & des changemens. Donc le sentiment intérieur répond & peut être comparé aux facultés de quelques systêmes de matière, qui occasionnent des modes dans un autre sujet ; il est en même tems une qualité inhérente dans la matière, comme le mouvement d’une montre est inhérent dans la montre, comme la rondeur ou tout autre