figure particulière & individuelle réside dans un corps.
« Une qualité réelle ne peut pas résulter de la composition ou assemblage de qualités différentes ; de sorte que cette composition produise dans le même sujet une qualité toute neuve, d’un genre ou d’une espèce totalement différente de toutes & de chacune des qualités composantes ».
J’accorde cette proposition suivant l’explication que M. Clarke en donne. En effet le mouvement ne peut produire que du mouvement, la couleur ne peut produire que de la couleur. Mais la vérité de cette proposition ainsi expliquée ne s’étant point aux facultés numériques : elle ne regarde point sur-tout le sentiment intérieur. Une faculté réelle numérique, telle que je suppose la pensée, ou telle qu’est la rondeur, peut résulter de la composition de facultés différentes, comme la rondeur peut résulter de différentes espèces de figures, & être conséquemment, dans le même sujet, une qualité toute neuve, différente, pour le genre & l’espèce, de toutes les autres qualités composantes ; au lieu que le mouvement étant une faculté générique, je conviens qu’il est une somme des mouvemens des parties, comme la figure est composée des figures des parties. Si le sentiment intérieur étoit une propriété générique, comme la figure & le mouvement, il seroit composé de même des sentimens intérieurs des parties.
« Le sentiment intérieur étant donc une qualité réelle (Propos. 8.) & d’une sorte spécifiquement différente de toutes les autres qualités, connues ou inconnues, qui de l’aveu de tout le monde ne sont point des espèces de sentimens intérieurs, il ne peut absolument point résulter d’aucune composition ou combinaison de ces qualités ».
Quoique le sentiment intérieur soit une qualité réelle, différente de toutes les autres qualités, connues ou inconnues, qui, de l’aveu de tout le monde, ne sont point des espèces de sentimens intérieurs, elle peut néanmoins résulter de la combinaison ou composition de ces qualités spécifiquement différentes dont aucune, considérée en particulier, n’est un sentiment intérieur. La rondeur est une qualité réelle, spécifiquement différente de toutes les autres qualités, connues ou inconnues, qui ne sont point des rondeurs ; cependant elle peut résulter de la composition de ces qualités. La proposition peut être vraie dans le sens que M. Clarke donne à ces mots, qualités réelles ; mais alors elle ne regarde point le sentiment intérieur qui n’est point une propriété générique, mais seulement un mode d’une propriété générique.
« Une qualité individuelle ne peut être transportée d’un sujet à un autre ».
J’en conviens : la qualité d’un sujet ne peut être que la qualité du sujet dans lequel elle existe, & non celle d’aucnun autre sujet. Le mouvement d’un certain systême de matière, ne peut être que le mouvement d’un tel systême. Le sentiment intérieur d’un être, ne peut être que le sentiment intérieur de cet être particulier. Il y a plus : le mouvement qu’un corps a un certain jour ne peut jamais être le mouvement d’un autre jour, comme le sentiment intérieur que j’ai aujourd’hui, n’est point le même sentiment intérieur numérique que j’avois hier ; soit que le principe qui pense en moi soit divisible ou indivisible. La même qualité individuelle numérique ne peut pas plus résider de nouveau dans le même sujet individuel où elle a résidé antérieurement, qu’elle ne peut être transportée de ce sujet dans un autre.
« Les esprits ou les particules du cerveau, lâches & dans un flux perpétuel, ne peuvent pas être le siége d’un sentiment intérieur par lequel l’homme se souvient, non-seulement d’avoir fait certaines actions il y a plusieurs années, mais par lequel encore il est intimement convaincu qu’il est le même être individuel qui a fait ces actions ».
Quoique les esprits ou particules du cerveau, lâches & dans un flux perpétuel, ne puissent pas être le siége d’un sentiment intérieur par lequel je sois intimement convaincu que je suis aujourd’hui le même être individuel que j’étois il y a un an ; car je nie que nous ayons aucun sentiment intime de la persévérance d’une telle individualité dans différens tems ; cependant s’il n’y a point d’absurdité à supposer que la matière pense ; & si elle peut connoître à cet instant qu’elle pense, je ne vois pas pourquoi elle ne pourroit pas se rappeller demain les pensées qu’elle a aujourd’hui, quoiqu’il lui manque quelques-unes des particules qu’elle avoit hier. Si la matière peut se rappeller dans un tems les pensées qu’elle a eues dans un autre, le souvenir en peut exister encore lorsqu’elle n’a plus aucune des parties qu’elle avoit quand elle a eu de telles pensées ; il suffit pour cela qu’elle se les rappelle de tems en tems, & que par ce rapport réitéré, les idées se gravent de nouveau, & forment de nouvelles empreintes dans le