cerveau, à mesure qu’il reçoit de nouvelles particules, & avant que les premières se soient entièrement écoulées. Ce méchanisme me fait comprendre comment un systême de matière lâche & dans un flux perpétuel, conserve aussi bien la mémoire des choses passées, qu’un systême qui auroit plus de consistance & de permanence. Que l’être pensant soit individuel ou divisible, le sentiment intérieur d’hier n’est point celui d’aujourd’hui : il en est parfaitement distinct dans l’être individuel & dans l’être divisible. Toutes les fois que M. Clarke expliquera, dans un être indivisible, le souvenir d’une action ou d’une pensée, je lui promets d’expliquer aussi aisément le même phénomene de mémoire dans un être divisible.
« Le sentiment intérieur qu’un homme a dans un seul & même tems, est un seul sentiment intérieur, & non pas une somme de plusieurs sentimens intérieurs distincts ; comme la solidité, le mouvement ou la couleur d’un corps & une somme de plusieurs solidités, mouvemens, ou couleurs ».
« Le sentiment intérieur ne peut donc pas avoir la substance du cerveau, ni les esprits du cerveau, ni tout autre systême matériel, pour sujet d’inhérence ; mais il doit être une qualité d’une substance immatérielle ».
Si l’on entend par le sentiment intérieur une qualité numérique correspondante, soit à la rondeur d’un corps, ou à un mouvement propre d’un certain systême de matière, cette quatorzième proposition n’est point du tout une conséquence des précédentes. Car, si le sentiment intérieur est une faculté numérique, elle ne rentre dans aucune des classes sous lesquelles M. Clarke a prétendu ranger toutes les qualités de la matière. En effet, ce n’est point un effet qui ne réside dans aucun sur, supposé toute-fois qu’il y ait de pareils effets dans la nature, ce que je nie absolument : ce n’est point une propriété comme la douceur, ni tout autre qualité sensible des corps étrangers, car ces qualités n’appartiennent point aux corps auxquels on les attribue ; elles sont dans nous des espèces de pensées ou de perceptions ; des figures & des mouvemens des parties. D’où il est évident que nous n’avons pas, M. Clarke & moi, la même idée du sentiment intérieur. Quand donc il pourroit démontrer que la matière est incapable de penser dans le sens qu’il donne au mot pensée, je pourrois aussi persister à nier qu’il eût donné aucune preuve de l’incapacité de la matière à cet égard, suivant le sens que je donne au mot pensée ; & que lui donnent tous ceux qui soutiennent avec moi que la matière peut penser, ou avoir le sentiment intérieur. Je puis donc convenir de la bonté de sa démonstration, sans nuire en rien au fond de la question, parce qu’elle ne regarde qu’une idée chimérique qu’il s’est faite de la pensée, ou du sentiment intérieur. On peut démontrer ainsi des chimères, sans que la réalité des choses en souffre. Sa démonstration est bonne, & j’en conviens sans peine, si le sentiment intérieur est regardé comme une propriété générique, telle que le mouvement & la figure, ou comme une qualité semblable à l’odeur de la rose qui n’appartient point à la rose, mais qui est une perception de nous, ou comme un effet qui ne réside dans aucune substance. Alors le sentiment intérieur ne pourra résider dans un systême de matière, & M. Clarke auroit raison. Mais si le sentiment intérieur n’est de l’espèce d’aucune de ces qualités, la démonstration de M.{lié}}Clarke qui n’est bonne que pour ces trois classes de qualités de la matière, ne touche point du tout l’état de la question ; & le terme de sentiment intérieur qu’il y emploie, n’étant pas entendu dans sa véritable signification, n’affecte pas plus le point contesté entre nous, que tout autre terme qui n’y auroit aucun rapport.
» Les difficultés que l’on peut faire ensuite touchant les autres qualités de la substance immatérielle, telle que son étendue ou son inétendue, n’infirment point la vérité de la démonstration présente ».
Le lecteur peut juger par la II Section de mes Réflexions, combien l’étendue de la substance immatérielle infirme la vérité de la prétendue démonstration de M. Clarke. Quant aux difficultés qui pourroient naître de son inétendue supposée, je ne préviendrai point M. Clarke sur ce objet : j’attendrai qu’il définisse les termes d’inétendu & d’être, afin de mieux comprendre ce qu’ils signifient lorsqu’ils sont joints ensemble. Alors je ferai voir combien l’inétendue supposée de la substance immatérielle affecte sa prétendue démonstration, comme j’ai fait à l’égard de son étendue.
Je n’ai plus rien à ajouter à cet examen des quinze propositions de M. Clarke. Il me suffit d’avoir montré qu’elles n’éclaircissent en aucune manière la question qui nous occupe. Je concluds en observant qu’il n’y a pas une qui tende à prouver l’avantage que la morale & la religion peuvent retirer de son argument, fût-il aussi juste & aussi concluant qu’il le prétend. Je renvoie donc le lecteur à ce que j’ai dit, touchant ce point, dans la section III, des réflexions présentes.