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ne séduira personne. Quatrièmement enfin j’y répondrois vainement & sans fruit, suivant ce mot de Hobbes que M. Clarke adopte : « Les meilleures raisons font rarement impression sur les gens d’esprit & les savans, lorsqu’ils se sont engagés dans une opinion contraire ». Qu’il jouisse donc paisiblement de la douceur qu’il trouve à se complaire dans sa prétendue démonstration. Je n’aurai point la cruauté de la lui envier.

Mais une chose que je dois faire remarquer au lecteur, c’est que je me suis servi de l’exemple de la rondeur uniquement pour donner une idée de la manière dont la pensée peut résider dans un systême de matière sans y être la somme d’un nombre de pensées de la même espèce. Du reste je n’examine point si à d’autres égards la pensée a quelque analogie avec la rondeur. Je crois plutôt que la pensée diffère sous plusieurs rapports de la rondeur & de tous les autres modes figurés des corps. Ainsi je ne suis point responsable des différences ou disconvenances que l’on peut trouver entre la rondeur & le sentiment intérieur, pourvu que l’une & l’autre ne soient point des sommes ou aggrégats de qualités semblables ; car voilà à quoi se réduit le parallèle que j’ai fait de la rondeur avec le sentiment intérieur.

J’aurois pu apporter pour exemple tout autre mode de la matière : tout autre que la rondeur eût également servi à mon dessein. J’en laisse la considération à faire au lecteur. J’ai établi des principes propres à répondre d’une manière satisfaisante à tout ce que pourroit m’objecter M. Clarke. J’en ai peut-être déjà trop dit. Les répétitions ne servent quelquefois qu’à embrouiller la matière.

Je passe donc à quelques autres Articles de la troisième défense de mon savant adversaire.

III. Pour me rendre plus intelligible, & mettre dans un plus grand jour mon objection à l’argument de M. Clarke « j’ai supposé que le sentiment intérieur, dont nous sommes censés ignorer la nature, étoit une modification du mouvement & non pas un mode de quelque propriété inconnue ; & j’ai fait d’autant plus librement cette supposition que j’ai cru parler à un savant trop au fait des règles de la logique pour m’imputer comme mon sentiment particulier ce qui n’étoit qu’un supposé de ma part ».

Devois-je m’attendre, après un pareil avertissement, que M. Clarke renonçant & aux règles de la logique, & au caractère de l’honnêteté qui ne doit pas nous être moins cher, me rendroit responsable de l’absurdité qu’il trouve à faire consister la pensée dans une espèce de mouvement ? Il devoit donc aussi m’imputer l’absurdité de faire du sentiment intérieur une espèce de figure, puisque j’avois comparé le sentiment intérieur à la rondeur aussi bien qu’à un mode du mouvement. Comment n’a-t-il pas vu que n’ayant pas dessein de décider en quoi consiste la nature de la pensée, j’étois fort eloigné d’avancer, comme mon sentiment particulier, que la pensée fût un mode du mouvement, ni une espèce de figure telle que la rondeur ? On ne doit donc exiger autre chose de moi, que de faire voir la légitimité de la supposition, que j’ai employée comme un exemple sensible d’une propriété de la matière, qui n’étoit point composée d’un nombre de propriétés de la même espèce, dans le sens supposé par l’argument de M. Clarke. Qu’il y ait de l’absurdité à faire consister la pensée dans une espèce de mouvement ; il ne s’ensuivra pas que ma supposition soit absurde, puisque je ne la propose pas comme une réalité, mais uniquement pour faire comprendre comment le sentiment intérieur pourroit être inhérent dans un système de matière, sans être la somme d’autant de sentimens intérieurs distincts qu’il y a de parties dans un tel systême. Si ma supposition remplit son but, peu m’importe qu’il y ait de l’absurdité à croire que la pensée soit réellement un mode du mouvement. Lors donc que M. Clarke se propose de prouver contre moi qu’il est absurde de supposer que la pensée est réellement un mode du mouvement, il prend le change, & réfute sans nécessité une supposition pour laquelle je n’ai témoigné aucun penchant, & qui est aussi indifférente à la question principale, que la supposition du monde la plus étrangère. Cependant comme il se pourroit que M. Clarke eût mieux réussi dans cette discussion que dans celle qui concerne la rondeur, je prendrai la liberté de m’éloigner avec lui du véritable état de la question pour examiner si ç’a été pour prouver une proposition sur laquelle nous ne disputions point, qu’il a négligé de prouver celle qui faisoit l’objet de notre différend. J’espère que le lecteur voudra bien me permettre cette digression en faveur de ma complaisance excessive pour M. Clarke. Je vais commencer par quelques recherches abrégées sur la nature de la pensée, pour être plus en état d’apprécier la force des raisons par lesquelles M. Clarke prétend faire voir que la pensée ne peut pas être un mode du mouvement.

1o. La pensée est une action qui ne commence d’être en nous que lorsqu’elle y est excitée par l’impression des objets extérieurs qui n’agissent sur nos organes que par le mouvement & le contact. Ainsi un moulin à vent ne commence à aller que lorsque le vent ou un autre corps en agite les ailes. Car toutes nos pensées se résolvent en dernière analyse dans des idées simples de sensation & de réflexion. Nous recevons par la sensation toutes les idées des qualités sensibles des corps. La réflexion nous donne les idées de la pensée & de ses modes, comme du doute, de la volonté, de la connoissance, &c. Les idées que