ne prouve de plus que la portion entière de l’espace contenue dans le récipient dont on a pompé l’air est absolument sans la moindre particule de matière, de sorte qu’on puisse être sûr que les corps y pèsent ou descendent sans être touchés ni poussés par aucune sorte de matière, il ne sera pas autorisé à croire que l’on ait tort de rapporter la cause de la pesanteur à l’impulsion de la matière. Je puis même ajouter qu’il est probable, que, si un corps se trouvoit d’abord dans une telle situation qu’il ne fût environné immédiatement que de l’espace pur & vuide, il n’auroit ni mouvement ni pesanteur. En voilà assez, je pense, pour obvier à tout ce que M. Clarke avance contre cet article. D’ailleurs je laisse tomber les traits qu’il lance contre moi ; je n’en releverai qu’un, parce qu’il attaque un célèbre philosophe. « J’insinue, suivant notre docteur, que Newton est de mon sentiment sur la présente question ». Je puis assurer le lecteur que c’est une pure fiction.
VI. « Les grans phénomènes de la nature, dit M. Clarke, ne peuvent pas procéder d’aucune puissance méchanique de la matière & du mouvement ; ils doivent être produits par la force & l’action de quelque principe supérieur, & élever ainsi, avec une certitude mathématique, à la considération des êtres immatériels, & enfin à la contemplation du créateur de l’univers ».
1o. Le célèbre Robert Boyle a répondu pour moi dans ses recherches sur la notion que l’on a ordinairement de la nature[1]. Il paroît assez évident, dit ce grand physicien, que tout ce qui se fait dans le monde, sans l’intervention de l’ame raisonnable, dépend des causes & des agens matériels qui agissent dans un monde tel que le nôtre, suivant les loix établies par l’auteur universel des choses dont la connoissance s’étant à tout. Un ouvrier montre bien plus de savoir en fabriquant une machine qui, par le jeu de ses parties quoique destituées d’intelligence, remplisse la fin pour laquelle elle a été faite, sans qu’il soit nécessaire qu’il la retouche & la remonte sans cesse, que s’il étoit nécessaire, pour la faire aller, d’y employer sans cesse la main du maître, soit pour faire agir le ressort, régler le mouvement de telle ou telle partie, soit pour remettre ou maintenir la machine en ordre lorsqu’elle se détraque. Dieu montre donc plus de savoir & de sagesse dans la fabrication de cette vaste machine que nous nommons le monde, si, soutenue par le concours ordinaire & universel du premier moteur, elle produit tous les phénomènes de la nature par les seules loix du mouvement, que si elle avoit sans cesse besoin de l’intervention immédiate d’un agent intelligent pour régler le mouvement de ses parties ». D’où il suit, selon Boyle, que si les grands phénomènes de la nature étoient constamment produits par la force & l’action des êtres immatériels, ils annonceroient moins de savoir & de sagesse dans le suprême auteur du monde que s’ils dépendent uniquement de la seule action des puissances méchaniques de la matière & du mouvement ; & conséquemment que dans le premier cas elles détruisent l’existence d’un être infiniment parfait, en ne lui supposant pas toute la sagesse imaginable.
2o. Quoi qu’il en soit, la preuve de M. Clarke en faveur de l’existence d’un Dieu créateur de toutes choses, me semble aussi obscure & aussi défectueuse que celle que Descartes prétendoit tirer de l’idée de Dieu. Il s’agit de savoir s’il existe de toute éternité un être immatériel, infiniment parfait qui a créé de rien toutes les choses. Comment l’existence d’un tel être peut-elle jamais être prouvée avec quelque certitude par la simple supposition qu’il existe deux êtres de différente espèce ? Il ne s’ensuit point du tout que l’un ait créé l’autre de rien. Il faut donc chercher d’autres raisons qui le prouvent[2]
Inférer de l’existence de deux êtres différens que l’un est le créateur de l’autre, c’est une façon de raisonner qui ne se trouve chez aucun ancien auteur profane. Les anciens n’avoient pas même de termes qui exprimassent la production des choses ex nihilo. Les juifs n’en avoient pas non plus, & le terme hébreu que nous rendons par celui de création, désigne plutôt toute autre action ou effet ordinaire que la production ex nihilo. C’est donc une question purement moderne, ainsi par respect pour l’antiquité profane & sacrée, il ne convient pas à M. Clarke de supposer que la simple existence de deux êtres différens soit suffisante pour démontrer que l’un a créé l’autre de rien.
3o. Puisque à l’occasion de la lecture établie par M. Boyle, on agite souvent la question de l’existence de Dieu, qui sans cela, je crois, deviendroit rarement le sujet d’un discours public ; & puisque les habiles théologiens qui remplissent cette fondation, se proposent de donner des preuves démonstratives de l’existence de Dieu, ainsi que s’exprime M. Clarke, ce qui nous donne droit à nous autres d’exiger d’eux des démonstrations : je vais proposer au lecteur quelques